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Croirait-on que d’autres écrivains aient également cherché à le faire passer pour tel ? Lisez MM. Dohm, Görtz, Koch Schöll, Preuss ; Martens, etc. ; ils vous diront que jamais Frédéric n’avait pensé au partage de la Pologne. Il est vrai qu’ils sont tous prussiens, et que jusqu’à présent ils ont parlé à peu près seuls sur ce sujet. L’histoire n’a pourtant pas été frustrée de tous ses droits dans cette conspiration patriotique ; elle peut s’appuyer sur le témoignage de Frédéric lui-même, qui ne s’est pas toujours surveillé avec une attention scrupuleuse, et qui dans des momens d’abandon ou d’oubli a laissé échapper son secret : on l’a vu plus d’une fois dans ce récit. Il a suffi pour cela de suivre le fil des événemens, et, pour parler le langage du royal historien, « d’en retrouver la généalogie. » Cette pudeur du conquérant devant sa conquête, ce soin de la voiler, de l’atténuer, de la répudier en quelque sorte, est une des plus grandes preuves du génie de ce grand homme, car il n’a pu que deviner, il n’a pu voir que dans l’avenir un blâme que ses contemporains ne lui ont pas fait entendre.

Aucun cabinet, aucun gouvernement, aucun peuple ne protesta contre le partage de la Pologne. Parmi les grandes cours, la France garda un silence désapprobateur, l’Angleterre un silence complice, et pourtant, par une injustice assez commune à l’égard des deux pays, la conduite de l’une a été jugée avec la dernière rigueur, tandis que l’autre n’a pas même, été accusée ; mais enfin toutes les deux crurent devoir se taire. La Turquie vaincue n’avait plus qu’à demander la paix ; les cours du midi restèrent indifférentes, et l’Allemagne, sans en excepter la maison de Saxe, ne manifesta aucun intérêt pour la Pologne. Le sentiment de répulsion qui suivit la chute de la royale république n’éclata qu’après les derniers partages.

Ainsi s’accomplit, en 1772, le premier démembrement de la Pologne. Tel fut le fruit d’une anarchie séculaire. Cet arrêt de la Providence est-il définitif ? Dieu seul le sait ; mais ce qu’on peut hasarder de dire sans trop craindre de se tromper, c’est que, dans le cas où la Pologne attendrait sa restauration de l’Allemagne, elle courrait la chance de l’attendre long-temps.

Il reste à tirer de ce grand événement une conclusion plus sûre et plus générale. La leçon qui en résulte n’en doit pas être bornée au passé ou à l’avenir d’un seul peuple. Mille causes incidentes ont contribué à la chute de la république polonaise, une seule a consommé sa ruine. Sans doute, on peut l’attribuer en partie au maintien d’une organisation vicieuse, tant politique que militaire, en présence d’une transformation de l’Europe. Sous ce double rapport, cette appréciation a certainement beaucoup de force ; mais, malgré ses confédérations et ses contre-conférations, malgré ses diètes et ses diétines,