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Dieu sait ce qui sortira un jour de cette cuve où fermentent ensemble tant d’ingrédiens de toute nature ; mais pour le moment il nous suffira de faire remarquer que tous ces élémens sont, à peu d’exceptions près, européens. Il n’y a là, à bien considérer, qu’un pêle-mêle de langues, de races, de sectes, de religions, d’idées, de mœurs, venues de tous les pays du monde, si bien que les États-Unis ressemblent beaucoup à un immense meeting où tous les peuples de la terre sont venus pour se concerter, se connaître et discuter sur les moyens de refaire une nouvelle civilisation.

Ce prolongement de l’Europe se fait bien mieux sentir lorsqu’on étudie la littérature des États-Unis. Il y a peu d’Américains qui reproduisent avec talent les scènes, les mœurs, les habitudes, les tendances, les traditions, l’histoire des États-Unis. Chacun peint les mœurs du peuple qu’il préfère, imite la littérature qu’il chérit. La littérature des États-Unis n’est pas plus féconde que celle de l’Europe, et comme en résumé elle est très généralement une imitation des littératures étrangères, il suit de là qu’elle a encore moins de vie et d’originalité.

Les deux premiers écrivains des États-Unis sont deux hommes politiques Franklin et Jefferson. Nous prions les esprits subtils de nous montrer où donc dans Franklin l’Américain, commence et où l’Européen finit, comment ils se séparent et se distinguent l’un de l’autre ; nous avouons que nous n’avons jamais pu le découvrir. La culture intellectuelle de Frankln est entièrement européenne ; elle est toute du XVIIIe siècle : il est le disciple le plus pratique de Locke ; sa démocratie est tirée de Locke, son fameux plan de conduite est inspiré par Locke, sa religion naturelle appartient à Locke, son Almanach du bonhomme Richard est la philosophie de Locke mise en pratique, ce sont ses théories appliquées. Jefferson laisse peut-être moins voir que Franklin les traces de la culture européenne, mais ces traces n’en subsistent pas moins. Voyez dans les mémoires de Jefferson les charmantes pages sur la France et l’Europe ; elles indiquent un homme qui connaît bien l’Europe, qui l’aime, et qui en sait le délicat langage.

Passons aux littérateurs qui sont simplement littérateurs. Les deux plus grandes renommées que nous rencontrons sont Fenimore Cooper et Wasbington Irving ; on dirait que l’Europe est toujours présente à leur esprit. Voyez Fenimore Cooper : il s’efforce de nous peindre des tribus aborigènes des sauvages, des planteurs, des pionniers, des colonies, et il faut avouer qu’il s’en tire avec facilité et succès, sinon toujours avec un vrai talent ; mais ne croyez pas qu’il va trouver des couleurs nouvelles, mettre en jeu son originalité, fouiller sa nature d’Américain pour y chercher ce qui appartient essentiellement à cette nature : pas du tout. Il a devant les yeux un modèle. Walter Scott ; il l’imitera constamment. Il décrit ses paysages américains avec l’aide