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de matière raffinée s’élevant par degrés jusqu’à la nature des purs esprits, de magnétisme, de swedenborgianisme, d’animaux exerçant sur les destinées de l’homme une influence occulte ; mais on jurerait que l’auteur a appris les lois de l’analogie dans Fourier, qu’il a pris sa philosophie dans les livres de Mesmer et de Swedenborg, et qu’il a emprunté à M. de Balzac sa manie d’inductions et d’hypothèses.

Il se publie aux États-Unis des revues dont la plus célèbre, sans contredit, est celle intitulée : North American Review. Nous y avons trouvé la menue monnaie du talent courant en Europe, un calque assez bien fait des revues anglaises, mais en somme peu d’originalité. Quant à leurs immenses journaux sans polémique, sans tactique, sèche nomenclature de faits et d’anecdotes, nous les déclarons à peu près illisibles.

Les écrits philosophiques d’un certain Brown ont fait fureur en Amérique. Or, ces livres qui frisent le matérialisme ne sont absolument que le dernier écho de l’école écossaise dégénérée, si tant est que l’école écossaise puisse dégénérer. On dirait un Laromiguière américain. La philosophie appelle naturellement la théologie. Dernièrement nous avons lu un livre étincelant d’esprit intitulé : Discours sur les matières religieuses, par Théodore Parker, livre imprimé à Boston. Nous n’y avons pas trouvé trace de protestantisme. Ce livre, sous apparence religieuse, renferme un écho lointain des doctrines philosophiques européennes. On dirait tantôt que c’est le vicaire savoyard qui parle, tantôt Herder, tantôt Condorcet, tantôt même Benjamin Constant.

Emerson a cherché à réagir contre cette littérature d’imitation et de pastiches européens. Il a essayé de ramener ses compatriotes à la contemplation de la nature qu’ils ont sous les yeux, à l’observation d’eux-mêmes, à la peinture de leurs habitudes, de leur manière de vivre, et de substituer, à Paris et à Londres toujours présens à l’esprit des écrivains de son pays, le Massachussets et la Virginie. Il a cherché à les détourner de cette littérature de touristes, de dilettanti, de rôdeurs. L’ame n’est pas voyageuse, leur dit-il souvent ; pourquoi allez-vous chercher si loin, à Naples, à Rome, à Londres, à Paris, ce qui est tout près de vous ? Cherchez en vous-mêmes ; la vie qui est en vous, aussi faible qu’en soit l’étincelle, vaut encore mieux que la splendide poussière des peuples éteints. Malheureusement lui-même, le plus original et le plus profond de tous, a donné dans ce travers. Il a lu Carlyle, il a lu Novalis, il a lu Coleridge, il a lu Wordsworth, il ne les oublie pas assez parfois. Cependant, il faut dire que ses idées, son style, ses tableaux, ses paysages se ressentent beaucoup plus de la nature et de la société américaines que tout ce que nous connaissons et que nous avons énuméré[1].

  1. Voyez, sur Ralph Waldo Emerson, la Revue du 1er août 1847.