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Il est vrai de dire qu’elle n’avait pas d’autre moyen de défense. Son état social, sa constitution, tout, jusqu’à sa configuration territoriale, la condamnait à une si dangereuse erreur. Ouverte de toutes parts, dépourvue de places fortes, n’ayant que de la cavalerie et point d’infanterie, elle ne pouvait se préserver d’un voisin que par le secours d’un autre. Faute d’un point d’appui qui lui fût propre, cette aristocratie agitée au milieu d’un peuple immobile s’abandonnait à la chimérique espérance d’un appui étranger, et, les yeux attachés sans cesse sur les quatre points cardinaux, elle regardait au loin, dans l’espace, et ne voyait rien venir. Cette caste, qui se disait une nation, ne parvenait à le faire croire et à le croire elle-même qu’en éblouissant amis et ennemis par une bravoure incomparable sans doute, mais impuissante à sauver l’ordre social, parce qu’elle n’était qu’individuelles.

Dans cet état de choses, un déchirement devenait inévitable entre les Polonais et des voisins puissans et absolus, armés non-seulement par la jalousie et l’ambition, mais aussi par la nécessité, car ils avaient à se défendre à la fois des armes de la Pologne et de la contagion de son orageuse, mais séduisante liberté.

La crise, long-temps suspendue éclata lors de la mort d’Auguste III, électeur de Saxe, roi de Pologne. Dès que la nouvelle en fut parvenue à Pétersbourg, Catherine II résolut d’exécuter sans hésitation et sans délai un plan conçu d’avance, et qui d’ailleurs était moins le fruit de sa pensée personnelle que le legs de Pierre-le-Grand. Elle se proposa le double dessin de donner un roi aux Polonais et de réhabiliter les dissidens. Pour dominer la république, il suffisait de ces deux moyens, qui, semblables à de fortes tenailles, saisissaient la Pologne et la comprimaient par les deux extrémités. À de tels instrumens, Catherine n’avait nul besoin d’ajouter un projet de partage.

On donnait le nom de dissidens aux chrétiens non catholiques romains, qui se trouvaient, en Pologne dans la position des catholiques en Angleterre avant le bill d’émancipation. Les chrétiens du rit grec, ainsi que nous l’avons déjà dit, y étaient nombreux. Ils abondaient surtout dans le grand-duché de Lithuanie. Au xviie siècle, le catholicisme ne s’était établi qu’avec beaucoup d’efforts, de peines et non sans violence, tant dans le grand-duché que dans les provinces limitrophes. La haute noblesse seule y était devenue nettement catholique et polonaise ; il n’en était pas ainsi des classes inférieures, à beaucoup près. Le compromis, non moins politique que religieux, connu sous le nom de l’Union avait concilié la suprématie du saint-siège avec le maintien des formes du rit oriental, mais son succès n’avait été complet qu’au nord de la Lithuanie, dans le palatinat de Vilna. Le reste de cette province, ainsi que la Podolie, la Volhynie et surtout l’Ukraine, y avaient opposé une résistance plus ou moins patente, plus ou moins