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où n’es-tu point ?… Nous l’avons déjà dit, au théâtre de la République ! Ligue des Amans, Passe-temps de Duchesse, vieilles pièces, dites-vous en regardant l’affiche, pièces contemporaines du Vert-Galant de Dancour, ou tout au moins du Manteau de ce bon Andrieux ? Mais non : approchez un peu, et Voyez ! Quoi ?… de jeunes noms ? C’est singulier, un passe-temps de duchesse ! Comme s’il y avait encore des passe-temps et encore des duchesses, du moins à mettre en scène ! Voilà un art bien orgueilleux et qui tient fort à honneur de se détacher de la réalité. Quand nos aïeux voyaient sur l’affiche ces mots : Précieuses, Femmes savantes, Tartufe, ils savaient ce que cela voulait dire. Voyons pourtant. Ces vieux titres cachent peut-être de piquantes nouveautés. Voici bien une autre affaire ! Géronte, Scapin, Zerbinette, Valère, Harpagnon, la Gageure imprévue, l’École des Maris, le Caprice, Marivaux, Molière, Musset, ce que nous connaissions depuis deux siècles, depuis un siècle, depuis un an, les voici tous, héros et pièces ; les voici, hélas ! moins l’originalité profonde ou piquante ! Nous nous adressons ici sérieusement à la génération dont les auteurs de ces pastiches ont le tort d’exprimer trop fidèlement les instincts. Elle imite, elle ne fait qu’imiter, cela n’est un secret ni pour elle ni pour personne. Qu’elle apprenne donc de ses propres maîtres comment l’imitation peut devenir féconde. Voyons, messieurs, qu’est-ce que Plaute et Rabelais pour Molière ? Des instrumens d’optique dont peut s’aider avec avantage la vue la pus sûre et la plus perçante, une méthode d’observation en actes et en exemples. Les emprunts parfois sont plus directs, je le sais ; mais alors il s’agit de types qui restent et non de travers qui changent. Appartient-il à Plaute ou à Molière, à Rome ou à la France, au paganisme ou au christianisme, l’avare, cet avare éternel qui n’a ni religion, ni patrie, ni famille, qui traverse toutes les civilisations sans en être entamé, aussi incorruptible au temps que l’or qu’il entasse ? Quelle ombre de réminiscence intercepte le rayon direct à ce microscope d’une ténuité merveilleuse que Marivaux promène sur son temps, avec tant d’agrément, de finesse et presque toujours de sûreté ? M. Alfred de Musset a trempé son talent dans plus d’une source ; la jeune école, qui a bien ses raisons pour cela, ne se lasse pas de le répéter. Que Byron, Shakspeare, Hoffmann, aient en effet contribué à creuser sur le front de la muse du jeune poète d’un Spectacle dans un fauteuil le pli de la mélancolie, à jeter dans sa mobile humeur la fantaisie étincelante, à déposer sur ses lèvres le sourire mêlé de tristesse qui provoque tant de sympathie, cela peut être, et M. de Musset lui-même n’aurait aucun intérêt à le contester ; mais que les jeunes adeptes, si prompts à passer, par le temps qui court, de l’admiration au plagiats veuillent y regarder de plus près : ils se convaincront que ce poète, si long-temps méconnu par les gens qu’on nomme sérieux et par les prétendus amis de la tradition, et un vrai compatriote de Régnier et de Voltaire, et de plus un contemporain, qui ne cesse pas d’être lui-même ; jugement libre, même au milieu des aspirations éthérées et des lèves bizarres dont il s’empreint ou qu’il imagine ; esprit aimable, leste, malicieux, rieur, comme un véritable enfant du XVIIIe siècle, et pensif comme un enfant du XIXe ; poète qui unit dans un mélange singulier et embarrassant au premier abord le fou caprice à la passion sincère, la raillerie douce ou l’ironie plus pénétrante à l’idéal. Que la jeune littérature ne mette donc pas ses emprunts à l’abri d’une individualité déjà si nette et si distincte ; qu’elle n’attribue pas davantage