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petite Fadette. Nous en félicitons sincèrement Mme Sand. Autant nous croyons à l’avenir de la comédie politique, autant nous croyons peu à celui du roman métaphysique et social. De même que la Mare au Diable et François Champi, la Petite Fadette est tout simplement, une pastorale. Comme ces fleurs qui croissent au milieu des ruines, mêlant la grace de leurs couleurs, la suavité de leurs parfums à la poussière des débris, la pastorale se plaît, on l’a dit souvent, à fleurir au milieu des révolutions. Reposer sa pensée sur ce qui reste toujours beau, toujours jeune et toujours pur, en face des misères, de la décrépitude et des bouleversemens qui affligent, courbent, agitent l’humaniité ; c’est à la fois pour l’art un des plus naturels instincts, et pour le témoin des temps désastreux un des plus vifs et des plus doux besoins. La pastorale offre donc à la fois l’opportunité immortelle de la nature et l’attrait piquant du contraste. Le roman de Mme Sand a, cette fois, un avantage incontestable au point de vue de l’art. Il s’adresse à toutes les classes, à toutes les opinions, et je dirai presque à tous les âges. Il ne choque ni une vérité ni un préjugé. Il est vrai de la vérité morale la moins changeante, et c’est dans la famille qu’il va chercher ses inspirations. Intéresser à l’amitié de deux enfans, de deux jumeaux, au simple amour d’une fille des champs, voilà ce qu’a su faire Mme Sand dans la Petite Fadette. Nous en indiquerons au moins la donnée. C’est une tradition accréditée dans quelques campagnes que l’amitié de deux jumeaux, de deux bessons, comme dit l’auteur, empruntant le langage des paysans du Berry, dégénère souvent en une sorte de fièvre, de langueur, de véritable maladie en un mot. Mme Sand a trouvé les nuances les plus délicates pour peindre ce sentiment pur comme l’amitié, tendre et ombrageux comme la passion, inquiet, jaloux et exigeant comme l’est l’amour à l’âge des vives impressions et des premiers attachemens. La Petite Fadette rappelle à plus d’un égard, et sans la plus légère trace d’affectation, la fable des Deux Pigeons. De même que dans l’apologue charmant où deux pigeons s’aiment d’amour tendre, ce qui n’empêche pas l’un d’eux de s’ennuyer au logis (conciliez cela !), il se trouve, après un certain temps, que l’un des deux bessons a moins que l’autre besoin de son frère, et ne pense pas toujours comme lui que l’absence soit le plus grand des maux : tant il est vrai que c’est la loi de nature, entre pigeons et enfans, entre frères et soeurs, entre amans et maîtresses, que, dans cet échange d’affection et de tendresse où il semblerait que tout dût être égal, l’un donne plus que l’autre de sa vie et de son cœur ! Pour attrister, irriter le cœur malade du pauvre Sylvain, Mme Sand place entre lui et son frère Landry un tiers, un tiers bien redoutable pour les amitiés fraternelles, l’amour. Cet amour, celle qui d’abord le ressent et qui bientôt l’inspire, c’est la fille de la vieille sorcière du lieu de la fadette du pays, une enfant n’ayant d’abord ni la beauté qui doit, avec l’âge, s’ajouter à sa grace, ni la fortune qui viendra plus tard, une enfant partout moquée, haïe, persécutée pour sa famille, pour son humeur fantasque, pour sa malice, pour sa laideur et pour sa misère. Personne comme Mme Sand n’a peint l’enfance. Je ne crains pas de dire que la plume qui a tracé les jeunes et pures amours de la petite Consuelo et d’Anzoleto adolescent n’avait rien fait encore en ce genre qui égalât ces figures, si poétiques dans leur simplicité, Sylvain, Landry, Fanchon Fadette ; j’y ajouterai le petit Sauteriot, ce frère malingre de l’héroïne. L’écueil de ce genre de tableaux, c’est, on le sait, l’exagération fade, la niaiserie prétentieuse. Mme Sand