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fine et pénétrante de la société polie, un récit aussi rapide qu’attachant, rachètent ce qu’il y a d’exagéré ou de faux dans le choix du sujet. Même en se hasardant sur ces cimes escarpées du roman d’aventures, l’auteur sait encore prouver qu’il n’abandonne jamais entièrement les sentiers plus unis, les routes plus droites et plus vraies d’Octave, et qu’il est toujours prêt à y revenir.

Une réflexion, par laquelle nous terminerons, plane, pour nous, sur toutes remarques provoquées par notre situation littéraire. Il est fâcheux de le dire : les écrits que nous avons eu à louer appartiennent tous à des écrivains antérieurs à la génération la dernière venue. De celle-ci, nous n’avons pas même eu depuis long-temps constater des promesses. Pas un roman émané d’elle qui se distingue dans la foule, pas une tentative au théâtre qui annonce un salutaire ennui de la routine. Ce qui est encore plus triste, rien, qui soit, parmi le mal qui abonde, regardé en face, flétri ou raillé ; on dirait que ce n’est pas l’esprit, que c’est, hélas ! le cœur qui manque. Nous ne savons si Molière, à l’heure qu’il est, court les tréteaux, si Beaumarchais observe du coin, de l’œil l’immortel ridicule qui survit, en y trouvant son compte, à toutes les révolutions si l’auteur de Gil Blas, nous épiant dans l’ombre, prépare son roman de mœurs ; mais il est assurément bien patient et bien modeste, l’artiste qui se cache pour nous observer ! Peut-être sera-t-il donné à ces écrivains de l’avenir, à ces messies si vivement attendus, d’atteindre du premier coup à la virilité de l’esprit, qui, de notre temps ; n’a été que le privilège de très peu d’hommes, presque tous étrangers à la littérature proprement dite. Que ce soit une décadence ou une transformation, un avril qui sourit à peine ou le plus maussade des hivers, sur cela la pensée peut hésiter ; mais les devoirs de la critique nous paraissent indiqués plus nettement que jamais ; C’est le cas pour elle de se montrer fidèle à son double rôle, rôle de censure et de répression par lequel elle indique les fautes à éviter et accuse les fautes commises, rôle d’initiation par lequel elle éclaire et montre du doigt aux nouveaux arrivans les fautes à parcourir. Ces deux rôles impliquent eux-mêmes deux conditions à remplir : l’inflexibilité pour les œuvres sans franchise qui ne trahissent la vanité de l’écrivain, le paraître et non l’être ; la bienveillance et l’encouragement pour les œuvres où se font jour à quelque degré l’inspiration non feinte, l’indépendance de la pensée. Se réjouir conviendrait mal, on en tombera d’accord. S’affliger à l’excès conviendrait encore moins. Prêcher le découragement, quand il est partout, serait mal prendre son temps. Au milieu de tant de signes attristans, il faut se dire que c’est après tout une condition heureuse pour l’art d’être condamné, par la force même des choses et par son intérêt bien entendu, à faire un retour vers la sincérité, qui seule peut lui donner le succès. Jamais il n’a été acculé, par une démonstration plus triomphante, à cet aveu qu’il n’y a pour lui nul moyen d’arriver au beau sans d’abord revenir au vrai. L’art ne peut être seul à méconnaître, quand elles frappent tous les yeux, ses conditions vitales, dans la société nouvelle. C’est ce qui nous dit encore de ne pas désespérer.


HENRI BAUDRILLART.