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le partage de la pologne.

effroyable corruption de mœurs s’y était introduite. Le divorce, jusqu’alors presque inconnu dans ce pays catholique, y était devenu, en dépit des lois de l’église, une sorte de huitième sacrement. Le mariage n’était plus qu’un bail à terme. À Varsovie, plus d’une femme de la cour rencontrait son premier mari, le présentait au second et quelquefois même au troisième, et ces trois maris vivaient ensemble dans un accord admirable, sous les yeux de leur épouse temporaire. Les procès, ce fléau endémique de la Pologne, s’y étaient élevés à des proportions fabuleuses ; les Juifs restaient les vrais possesseurs des biens-fonds de la noblesse ; enfin, depuis l’avènement d’Auguste II jusqu’à la mort d’Auguste III, les anciennes habitudes de luxe, de dettes, les abus et les dérangemens de toute espèce s’étaient accrus sans mesure. La nation sentait cette lèpre et s’efforçait de la secouer. En bonne politique, malgré ses liens de parenté, Louis XV ne devait pas se faire le champion de la maison de Saxe. En admettant d’ailleurs qu’il crût devoir servir ses intérêts, il aurait dû comprendre que le sort de la Pologne s’ébauchait en Courlande. Il ne devait donc pas attendre la vacance du trône pour se déclarer en faveur de cette famille ou pour abandonner hautement ; mais ni Vienne, ni Versailles ne surent prendre un parti.

Au surplus, la pensée de donner un roi à la Pologne n’avait rien de nouveau pour aucune des grandes puissances. Elles y avaient mis la main, chacune à son tour, quelquefois inutilement, souvent avec succès, mais il n’y en avait pas une qui ne l’eût tenté. La France avait eu ses Valois et ses Conti ; l’Autriche, Michel Koributh, escorté de l’archiduchesse Éléonore ; la Suède, Stanislas Leczinski : la Russie, les deux Auguste. L’innovation ou plutôt la rénovation ne consistait que dans le choix d’un Polonais, à l’exclusion de tous prétendans étrangers issus de maison souveraine. Dans toute cette affaire, ce fut la seule résolution inébranlable et définitive prise par Catherine II. Il n’est point vrai, comme on le croit communément, que Poniatowski fût son candidat unique ; il est encore moins vrai qu’un caprice romanesque l’ait exclusivement guidée dans ce choix ; L’historien qui a surtout accrédité cette opinion l’a d’ailleurs réfutée lui-même. Rulhière nous apprend qu’un des deux jeunes princes Czartoriski avait été destiné au trône concurremment avec son cousin Stanislas-Auguste, mais que, soit par indécision, soit par modestie, il y avait formellement renoncé de lui-même. Un brillant palatin, le comte Oginski, vint aussi tenter l’aventure. Il joua de la harpe aux pieds de Catherine, mais ce fut sans succès ; l’impératrice n’aimait pas la musique. En tout cas, c’était lui supposer une préoccupation très rétrospective. À l’époque de la vacance du trône de Pologne, le nom de Poniatowski ne répondait plus qu’à sa politique. Il est vrai qu’elle prit peu de soin de repousser une