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temps un malheur. Qui ne se souvient du décret qui réglait le costume des représentans du peuple, et qui faisait une institution politique du gilet à la Robespierre ? Et les funérailles des victimes de février, où les différens peuples du monde devaient avoir leurs représentans (Moniteur du 4 mars 1848) ? Et les représentations nationales du Théâtre de la République, dans les entr’actes desquelles des masses musicales devaient exécuter des airs et des chants nationaux ? Et le programme de la fête du 14 mai, avec les jeunes filles vêtues de blanc, les trophées d’outils et d’instrumens, le char de l’agriculture portant trois arbres : un chêne, un laurier, un olivier, avec une charrue au milieu d’un groupe d’épis et de fleurs ? C’est dans ce temps-la que M. Ledru-Rollin, parlant au peuple dans la cour du ministère de l’intérieur, le 20 avril, après la revue de ce jour, disait gravement : « Ce soir, monté sur le faîte de l’Arc-de-Triomphe, je contemplais avec une indicible émotion, du haut de ce monument élevé à nos gloires, la grande scène qui se déroulait sous nos regards. Tout à coup un arc-en-ciel a sillonné les cieux ; j’ai senti mes paupières s’humecter à la vue de ce symbole d’amour et de concorde, et j’ai cru y reconnaître une sanction divine de notre immortelle, de notre évangélique devise de fraternité. » (Bulletin de la République, 20 avril.)

Pourquoi avons-nous rappelé les souvenirs de ce temps grotesque et désastreux ? C’est qu’ils expliquent les manies de la montagne ; elle vit dans un milieu composé des souvenirs de 93 et des mimodrames du Cirque-Olympique. Mais ces manies, elle veut les imposer à la France moderne, elle veut l’assujétir a cette vie de théâtre, et, si elle était la maîtresse, elle ferait de ce carnaval tragique le régime de la société moderne ; voilà où est le sérieux, voilà où est le danger.

Ne craignons donc pas de défendre la société moderne contre les tentatives qui ne sont que ridicules, sachant bien qu’ici le ridicule couvre et précède le danger. Soyons citoyens, c’est-à-dire prenons part aux affaires de la cité ; mais ne faisons pas de ce titre un mot de passe et une étiquette de parti. Soyons peuple aussi, c’est-à-dire sachons bien que nous avons tous les mêmes droits et qu’il n’y a plus de classe privilégiée, et, pour cela, repoussons les prétentions, du peuple tel que l’entend M. Juéry. M. Juéry a découvert que le peuple n’assistait pas aux séances de l’assemblée nationale. Quoi ! n’y allons-nous pas, vous, moi, quiconque en a le loisir ou l’envie, tantôt dans la tribune publique, tantôt avec le billet de M. Juéry ou de tout autre ? — Oui, mais ni vous ni moi nous ne sommes le peuple de M. Juéry. — Pourquoi ? Est-ce parce que nous ne portons ni la veste ni la blouse ? À ce compte, la blouse a remplacé l’habit français. L’habit français était le costume de la noblesse ; la blouse sera le costume d’une nouvelle caste. Nous commençons à entendre le dictionnaire de la montagne : les citoyens sont ceux qui portent le gilet de 93, et le peuple ce sont les blouses du 23 juin 1848.

Avec la montagne, on passe aisément du ridicule à la chimère. Aussi, entre la discussion sur le titre de citoyen et celle sur les droits du peuple de M. Juery, nous avons eu les mille et une banques de M. Pelletier. — Et comment doter ces mille et une banques ? — C’est bien simple, on les dotera avec les biens des communes, avec les fonds des compagnies d’assurance et avec de nouveaux impôts. — il faudra donc vendre les communaux ! On les vendra. — Et où le