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dit avec vérité, bien qu’avec quelque dénigrement, que c’était l’alpla et l’oméga des libertés de la France. Par une conséquence naturelle, ce qui fait l’essence du principe démocratique fait également son péril. Le péril d’une démocratie, c’est que l’ambition de s’élever, permise en droit à tous les nouveaux venus d’une société, soit en fait allumée dans tous les cœurs ; c’est qu’une concurrence déréglée n’encombre toutes les voies qui peuvent conduire aux honneurs, en laissant déserts et méprisés les carrières modestes et les métiers utiles ; c’est, en un mot, que le grand nombre des hommes prétende au petit nombre des places. Travaillée par un tel mal, une société souffre incessamment du trop plein de certains organes et du dépérissement de certains autres ; elle a recours à des révolutions, comme à des saignées périodiques qui la soulagent en l’épuisant. La légitimité de toutes les prétentions personnelles est la condition d’une démocratie pure ; leur débordement est par conséquent son péril.

Il n’est qu’un moyen de mettre un peu de règle dans untel envahissement, et le bon sens comme le véritable intérêt des démocraties le leur a depuis long-temps suggéré. Si le principe démocratique exige en effet que tout le monde puisse aspirer aux situations les plus hautes, il y met pourtant cette restriction nécessaire, qu’on saura les remplir par ses aptitudes naturelles, et qu’on en deviendra plus digne encore par le travail et les connaissances acquises. La capacité et le travail sont les deux seules limites, mais les limites nécessaires imposées à la grandeur des ambitions, à la généralité des espérances qu’autorise et fomente le principe démocratique. Ces limites, je le sais, ne plaisent pas plus que d’autres, et pour cause, à certains amoureux bruyans que la démocratie compte dans les estaminets et dans les rues : les privilèges sérieux du talent et du travail les gênent tout autant que les frivoles avantages de la naissance. Mais la démocratie sage, réfléchie, la démocratie avouable se fait un honneur de les reconnaître. Elle eût posé elle-même ces barrières, si la nature des choses ne l’avait fait avant elle. Une société démocratique qui ne veut pas être une arène confuse où toutes les médiocrités ambitieuses se précipitent en se culbutant n’a d’autre ressource que de s’en tenir avec fermeté à l’axiome d’Alexandre mourant : Au plus digne. C’est la prétention et la devise de toutes les démocraties. Les seules vraies, les seules bonnes, les seules durables, sont celles qui ne se bornent pas à le professer hautement, mais qui le mettent résolûment en pratique.

Or, ou nous nous trompons fort, ou c’est en ceci qu’un système d’éducation publique fortement combiné pourrait rendre d’éminens services à une société démocratique. Nous concevons en effet, dans une telle société, l’éducation publique comme destinée à dresser en en quelque sorte l’échelle de la capacité et du travail de chacun. Nous croyons que