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ces noms proclamés au milieu des fanfares, et que le lendemain le Moniteur enregistre et les journaux répètent à grand carillon ; ces dîners ministériels qui couronnent la journée, savez-vous ce que c’est que tout cela ? C’est tout simplement la gloire avec ses angoisses et ses émotions brûlantes qui vient remuer toute une population petite de taille, mais vive de sentimens. L’écho des applaudissemens de ce jour retentiront toute la vie aux oreilles qui l’ont entendu. La soif allumée dans cette coupe ne s’éteindra plus, bien souvent, que dans les amertumes des humiliations et de la misère. Mais c’est mieux que de la gloire. Grace aux prérogatives attachées à un ou deux prix qui ont le titre d’honneur par excellence, c’est souvent le commencement d’une fortune : l’entrée gratuite aux écoles de l’état, la préférence pour certaines fonctions publiques assurée, tout cela pour le hasard d’une victoire académique. Il y a trois prix d’honneur, par conséquent trois gros lots à tirer dans l’académie de Paris, et il n’est pas étonnant qu’on arrive d’un peu loin pour prétendre à une telle prime. Aussi les classes de seconde et de rhétorique des collèges de Paris reçoivent-elles chaque année, après les vacances, une importation de lauréats de province qui viennent directement pour concourir aux prix d’honneur, et, reculant pour mieux sauter, reprennent le programme des études d’un ou deux ans au-dessous du point où ils l’ont laissé dans leur ville natale. Si l’idée ne leur en était pas venue d’eux-mêmes, elle leur eût été suggérée de Paris par des industriels enseignans, qui, autour des lycées, calculent pour leurs bénéfices sur un certain nombre de couronnes du concours général, et s’en vont chercher, à moitié prix, dans les lycées de province, des élèves de belle espérance, comme on cherche des chevaux de course dans des haras. Ces petites annonces insérées dans les journaux par les chefs d’institution privée, à la fin de chaque année scolaire, nous révèlent la conclusion ou du moins la proposition de plus d’un marché de ce genre. C’est là donc, c’est à quatorze ou quinze ans que commence la première traite émise, si l’on ose parler ainsi, de Paris sur les départemens, le premier pèlerinage des départemens vers Paris. À l’issue de l’instruction secondaire, une seconde couche de jeunes gens plus considérable encore se presse sur les pas de la première, et cela par l’effet de cette langueur des facultés de province si bien décrite par M. Cousin. Il est reçu comme axiome dans les familles, et avec quelque vérité, qu’il n’y a qu’à Paris qu’on puisse faire de bonnes études de droit et de médecine. On les fait en effet, ces bonnes études, mais avec quelle addition de connaissances non prévues, avec quelle culture supplémentaire des bonnes mœurs, avec quel étrange perfectionnement d’un savoir-vivre équivoque, toute personne qui a traversé le quartier latin, et qui se connaît en physionomie, le dira sans que j’insiste davantage. Le cœur saigne quand on pense où vont se dépenser, à Paris, les épargnes des