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beaucoup de la centralisation excessive qui les gêne dans leurs moindres mouvemens. Ils cherchent à y porter remède en augmentant les pouvoirs des autorités locales, en dénaturant ou démembrant l’édifice administratif. Nos conseils-généraux, dans leurs dernières sessions, unanimes dans le vœu et différant sur le mode d’exécution, ont tous, à leur manière, fait quelque projet de ce genre. À nos yeux, il y a quelque chose de plus grave que la centralisation administrative des institutions : c’est, s’il est permis de s’exprimer ainsi, la centralisation personnelle ; c’est cet état de société qui fait qu’il ne peut poindre sur aucun lieu de France ni mérite ni distinction d’aucun genre qui ne soit pressé de venir s’absorber, perdre son originalité native, et en quelque sorte s’éventer à Paris ; c’est cet attrait qui pousse vers la masse comme les richesses physiques et matérielles, les capitaux et les talens. Avant d’enlever aux départemens toute leur liberté, Paris commence par leur soutirer toute leur sève. Il y a beaucoup de causes de ce fait social, qui a suivi le progrès de la monarchie française ; mais, parmi ces causes, l’éducation publique a sa place, qui n’est pas la dernière. Il importe que les départemens le sachent : au moment où ils vont intervertir puissamment par leurs représentans, pour récupérer leurs attributions injustement confondues dans le pouvoir central, il faut qu’ils sachent que, par le mécanisme d’une éducation publique qui vient en aide à la tendance des mœurs, dès l’âge de vingt ans, tout ce qu’ils ont produit de meilleur les a déjà quittés, sans esprit de retour. Leurs meilleurs avocats font leur droit à Paris, leurs meilleurs professeurs sont à l’École normale, leurs meilleurs mathématiciens à l’École polytechnique. La centralisation a fait son œuvre dans leurs esprits avant d’avoir plié leurs destinées sous son joug. Que les départemens y réfléchissent : ce n’est pas tout de demander des pouvoirs, il faut avoir des mains toutes prêtes pour les recueillir.

Enfin, nous l’avons dit en commençant, et nous le répétons, car ceci est le point capital, le vice de toute démocratie, qui corrompt tous les bienfaits de l’égalité, c’est l’esprit d’aventure qu’elle inspire ; c’est la prime qu’elle propose à toutes les folies présomptions de la jeunesse. Il y a une part énorme de loterie dans toutes les démocraties. C’est une forme de gouvernement qui, comme la loterie, invite à chaque instant les populations changer le certain contre l’incertain ; mais les loteries sont d’autant plus attrayantes et d’autant plus dangereuses, on le sait, qu’elles s’adressent à de plus grandes masses et demandent de moindres mises. À ce compte, l’éducation publique, combinée avec l’administration française, forme une tontine d’une effroyable puissance qu’aucun jeu de hasard n’a jamais égalée. Des études qui peuvent être fortes si on le veut, mais dont le taux indispensable est relativement très faible, qui ne sont jamais poussées jusqu’à ces profondeurs où se