Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le gamin de Paris a certainement l’organisation la plus compliquée et la plus redoutable qu’ait produite la civilisation. Il a le courage, l’adresse et parfois la férocité d’un Mohican. Il est blasé comme Byron et sceptique comme Voltaire. Son humeur moqueuse, qui a été longtemps un fléau, est maintenant devenue quelque chose de salutaire. Après s’être moqué des rois et des prêtres, il commence à se moquer des tribuns. Que de fois je l’ai entendu parodier les orateurs des clubs. Il a fait des gorges chaudes de cette expression ridicule de citoyen que voulaient rendre à notre langue les patriotes du temps de M. Caussidière et de M. Louis Blanc. Il a des lardons pour la plupart des mots, vides de sens dont se compose le phébus révolutionnaire ; mais il est un sentiment qui, chez lui, s’est conservé exempt de toute moquerie, pur, frais, adoré, comme le souvenir du premier amour dans la cervelle du libertin c’est le sentiment patriotique Tous les quolibets du dirigés contre le chauvinisme ne l’empêcheront pas d’être Français, Français et militaire. Quand on lui parle de Cosaques ou de Prussiens, son regard devient plus étincelant que l’œil d’un Corse à qui on parle du meurtrier de son père. Lancez-le dans cette neige où ont disparu nos bataillons sacrés, il partira en véritable alouette gauloise, gai, chantant, insouciant du plomb et du froid qui l’arrêteront dans son vol. Et l’Anglais, comme il le maudit ! M. de Chateaubriand me racontait un jour une excursion qu’il venait de faire, sur le champ de bataille de Poitiers, et s’animant, se levant même, tout goutteux qu’il était alors : « Je leur en veux, disait-il en parlant des gens de la Grande-Bretagne, je leur en veux toujours de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt. » Je n’ai trouvé que sous la blouse parisienne de cœur semblable à celui du poète-chevalier. Si l’enfant de Paris ne sait pas le nom de ces anciennes journées, il, sait celui de Waterloo, et ce nom lui suffit. Un jour, cet homme qui a ri des plaisanteries de Voltaire sur la pucelle mourra peut-être avec joie en vengeant cette sainte guerrière. L’instinct national est resté chez le Parisien dans toute sa puissance ; aussi est-il propre à faire le meilleur soldat du monde connu.

Ce fut des gamins de Paris que se composa la presque totalité de la garde mobile. Cependant à cette race héroïque, se joignirent d’autres espèces d’hommes propres aussi au service militaire, mais dans des conditions d’âge et de caractère toutes différentes. Le tiers de la garde mobile qui n’appartenait pas à l’élément parisien offrait toutes les sortes de gens d’aventures. Quelques-uns, dans nos rangs, avaient servi en Afrique parmi ces soldats, meilleurs à la marche et au feu qu’à la garnison, qu’on appelle les zéphyrs. Plusieurs volontaires avaient fait des congés dans des régimens de ligne. Celui-ci avait été matelot, cet autre ne disait pas et n’avait pas l’air de savoir lui-même la profession qu’il avait exercée. Un jeune homme qui fut tué, et dont