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Qu’importe la couche que l’on quitte ? c’est toujours, quand il faut se mettre debout, la fantaisie qui s’évanouit et la vie réelle qui recommence, l’ame qui voit tomber ses ailes, Cendrillon qui descend du carrosse des fées, Peau d’Âne qui, pour reprendre son ignoble vêtement, dépouille sa robe couleur de soleil.

Ces nuits au bivouac, cette vie de campagne, étaient propices aux rapides liaisons. Deux chers souvenirs se rattachent pour moi à la garnison de Rueil. Deux officiers qui ne sont plus augmentaient, en le partageant, le plaisir que je trouvais à une vie noblement bohémienne. Antonin B… et Guillaume de N…, quoique leurs pas aient marché bien peu de temps à côté des miens, laisseront dans mon cœur mémoire de vrais amis et de précieux compagnons. D’origine et de caractères différens, ils se ressemblaient par le courage et par la jeunesse. Antonin B… était d’une naissance bourgeoise et d’un esprit libéral ; mais le jour du combat m’a montré qu’il avait la véritable élégance, celle que donnent l’aisance dans le péril, le dédain moqueur de la mort. Ce joyeux et loyal garçon agissait, en suivant ses instincts, comme les gentilshommes d’autrefois, en mettant à profit les traditions. Je l’ai vu un jour se battre en duel avec autant de gaieté et de bonne grace qu’en put déployer M. de Ségur en se mesurant avec le prince de Nassau. Quant à Guillaume de N…, c’était un enfant de bonne maison, qui, croyant la France revenue aux jours dont les révolutionnaires de février semblaient vouloir poursuivre, à leurs débuts, la néfaste résurrection, était venu confier sa jeunesse, son honneur et sa fortune au drapeau. Il avait dix-huit, ans ; mais les événemens dont était née sa courageuse résolution l’avaient mûri. Il se trouva qu’il était prêt pour la mort des champs de bataille.

Le jeudi 22 juin, à cinq heures, je dînais dans un cabaret de Rueil avec Guillaume et Antonin. Nous puisions à pleines mains en nos discours dans les trésors de l’avenir. Nous retrouvions en Italie et sur le Rhin les traces des volontaires, nos devanciers, et deux après nous étions tombés tous trois sur le pavé de Paris ! Un seul s’est relevé et a repris, avec sa vie, les rêves de ses compagnons.


V

Il est un reproche que mon cœur ne se fait pas, c’est, après s’être écrié comme René : « Levez-vous, orages désirés, » d’avoir gémi de mes souhaits et maudit ma destinée quand les orages sont venus.

Ces journées de juin furent pour tous des jours d’été ; pour moi, ce sont des jours d’été et de jeunesse. Certes, j’aurais mieux aimé cette grande mêlée, cette fête du canon, cette orgie de poudre, sur les bords