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des plus vaillans soldats qu’ait jamais eus notre pays, le général Bedeau : Je n’avais point l’honneur d’être à ses côtés quand le frappa la balle dont il faillit mourir ; mais on m’a raconté qu’il persistait à se tenir en selle malgré une blessure qui ensanglantait les flancs de son cheval. On lui criait de toutes parts : « Mon général, descendez. » Et il resta, le visage toujours plus pâle et plus calme. On parvint enfin à l’enlever, et je le vis passer en litière sur la place où je l’avais vu arriver, il avait à peine quelques heures, les traits éclairés par ce hardi et amical sourire qu’adressent les braves gens à la mort.

La nuit du vendredi 23 au samedi 24 juin fut une courte et belle nuit d’été. Un caprice obstiné de mémoire me rappelait à chaque instant ces vers de Victor Hugo :

L’été, la nuit bleue et profonde
S’accouple au jour limpide et clair.

Seulement, au lieu d’entendre des chansons dans l’air, comme dit encore le poète, on entendait un nombre prodigieux de coups de fusil. À chaque instant, nos factionnaires recevaient des balles. Il fallait réveiller, pour relever les blessés, nos hommes, qui dormaient tous, sans s’en douter, du sommeil de M. de Turenne. Dès que l’aurore partit le lendemain, elle fut saluée par une explosion générale d’artillerie et de mousqueterie. L’Hôtel-de-Ville était dans une position critique ; l’insurrection l’enserrait dans un cercle de feu. Le canon grondait à la place Baudoyer, au Petit-Pont et à la hauteur du Palais-de-Justice. La fusillade régnait partout. Les troupes se mirent en bataille sur la place, musique et tambours au centre ; les tambours battirent la charge, et les fanfares éclatèrent. C’était un bruit, pour me servir d’un mot de troupe, à faire prendre les armes au diable.

Je crus vraiment qu’il les avait prises, et que Paris allait s’abîmer dans tout ce fracas. Aucun spectacle ne me frappera plus, j’en suis sûr, que ne me frappa tout à coup l’aspect de Notre-Dame, dont une bande de tirailleurs venait de s’emparer. La vieille église élevait ses tours chargées de tristesse religieuse et séculaire dans un ciel plein d’un effroyable vacarme, et des coups de feu partaient de ses longues fenêtres. Je me rappelle, entre autres, une gothique ouverture, placée à l’orient par où s’allongeait à chaque instant le canon d’un fusil. « En voilà un qui s’est bien établi ! » répétaient autour de moi mes hommes à chaque coup que ramenait un même espace de temps. L’ironie de cette arme infernale surpassait certainement celle de tous les démons que la sculpture du moyen-âge attachait aux flancs des églises dans ses caprices bizarres et profonds. Je pensais que les derniers jours de Notre-Dame étaient venus, et que les ruines de la sainte maison allaient inaugurer