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Russes, blessés de l’ambition de Catherine, ne lui pardonneraient pas le despotisme qu’elle voulait exercer sur la Pologne[1] !… »

De ces données si fausses, tranchons le mot, si absurdes, il résulta qu’on crut l’impératrice exposée à une chute certaine et immédiate. Le plus léger mécontentement, la moindre bouderie de quelque courtisan disgracié voyageant en France suffisait pour accréditer l’annonce d’une révolution nouvelle. De misérables intrigans proposèrent à Choiseul de la fomenter. Le duc avait l’ame trop noble pour tremper dans des trahisons ; mais il donna à l’humeur ce qu’il ne pouvait accorder à la déloyauté. Lorsque le prince Galitzin vint lui proposer de la part de sa souveraine un concert diplomatique sur les affaires de Pologne, il rejeta cette offre avec une négligence dédaigneuse. Par ce refus, il abdiqua toute influence sur ces importantes négociations ; ayant refusé d’y prendre part, il renonçait au droit d’y intervenir désormais, il frappait d’avance ses conseils de stérilité, ses représentations d’impuissance. En s’isolant ainsi, la France se réduisait au rôle de simple témoin, et il ne lui restait plus qu’à enregistrer les derniers soupirs de la Pologne.

Sans doute, de la part de l’impératrice de Russie, l’offre d’un accord diplomatique n’était pas très sérieuse, mais il fallait la prendre pour telle et ne pas répondre au vœu secret de cette princesse en la débarrassant de tout contrôle. M. de Choiseul agit donc en cette occasion avec une légèreté, une imprévoyance excessives. Tout en lui faisant ce juste reproche, on peut se demander pourtant s’il avait autant de tort dans le fond que dans la forme, et si la France pouvait porter un secours efficace à la Pologne. On l’a dit, on le répète ; mais, comme beaucoup de choses qu’on dit et qu’on répète, n’est-ce point une erreur ? Sur quoi le ministre français pouvait-il s’appuyer, à cette période déjà avancée du XVIIIe siècle, pour sauvegarder les débris de l’indépendance polonaise. Est-ce sur l’opinion publique ? Par La nature même du gouvernement qui régissait alors la France, l’opinion n’avait pas de voix en dehors de la littérature ; or, les gens de lettres n’étaient pas favorables à la Pologne. On le voit à chaque ligne des pamphlets, des correspondances de Voltaire, de d’Alembert, de Diderot, la Pologne passait pour le pays de l’Europe le plus dévoué à la cour de Rome, le plus assujetti aux corporations religieuses, le plus hostile à la tolérance et à la philosophie, toutes choses qu’on mettait fort au-dessus de la liberté politique, et auxquelles on sacrifiait alors cette liberté, comme on sacrifie maintenant tout le reste à son apparence. Il y avait là deux points de vue différens, même opposés. La Pologne, pour le maintien de son

  1. Breteuil à Praslin.