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politique ne date pas, comme on le voit, de l’érection des tribunes parlementaires. En Australie, on remplace le plus souvent les paroles par des gestes ; mais les indigènes n’en ont pas moins de goût pour cette sorte de divertissement, et, dès qu’ils peuvent saisir le moindre prétexte de s’y livrer, on les voit s’asseoir à terre, de manière à former le demi-cercle, les hommes à droite, les vieilles femmes au centre, les jeunes femmes et les enfans à gauche, et les orateurs en avant.

On réussit donc à éloigner les sauvages du camp en les prenant par leur faible, c’est-à-dire en les appelant à une discussion diplomatique. Pendant ce temps, les Européens saisirent leurs armes et se placèrent entre les sauvages et les objets de leur convoitise. Ceux-ci, s’apercevant qu’ils étaient joués, devinrent furieux, ils se levèrent en poussant des hurlemens, et ils parurent se disposer au combat ; mais, au moment où la lutte allait s’engager, une diversion inattendue changea la face des choses. Les trois chiens du camp, devançant le signal du combat, firent une charge à fond sur les assaillans. La cavalerie française, à la bataille d’Eylau, ne fit pas autant d’effet sur les carrés des Russes. Les agresseurs tournèrent les talons aux éclats de rire non-seulement des Européens, mais des femmes, qui, avec la mobilité d’esprit particulière aux sauvages, passèrent subitement de la colère à une joie enfantine. « Il n’est pas douteux, dit M. Mitchell, que ces hommes ne fussent pleinement déterminés à attaquer les blancs étrangers. Le résultat, rapproché d’autres circonstances analogues, parait prouver que la force ouverte n’est pas dans leurs habitudes, et qu’ils ne connaissent que la guerre d’embuscade et de trahison. »

Les renseignemens recueillis par sir Thomas ne jettent aucune lumière nouvelle sur les mœurs de ces peuplades. Les tribus de l’intérieur ne diffèrent en rien de celles que les précédens voyageurs ont observées plus près des côtes, sir Thomas a surpris des familles au milieu de l’exercice libre et naturel de la vie sauvage. Partout c’étaient les mêmes particularités. Des enfans qui s’ébattent dans l’eau des marais parmi des bandes de canards sauvages, des femmes qui cherchent leur nourriture sur les bords en fouillant la vase ; quelques huttes distribuées çà et là, abris provisoires aussi vite abandonnés que rapidement construit des vases épars, des filets à prendre le poisson ; pour cuisines, des brasiers où l’on jette, sens autre préparatif, les alimens à cuire ; puis des hommes assis sur des tas d’herbes sèches : tel était invariablement l’aspect des camps où le voyageur est arrivé sans être attendu, et d’où il a pu sortir sain et sauf grace à son cheval, à la rapidité duquel il avait la sagesse de se confier toujours en ces circonstances. Deux ou trois fois il s’est trouvé en position de remarquer des femmes qui portaient sur le dos des cadavres empaquetés comme des momies. Cette singularité avait déjà été signalée par plusieurs voyageurs. M. Mitchell croit que la maigreur excessive et hideuse des bras et des jambes qui caractérise les Australiens provient, non d’un vice de conformation, mais du manque de nourriture. La famine, cela est certain, est permanente parmi ces tribus dépourvues de toute espèce d’industrie, et privées, à ce qu’il paraît, de l’instinct qui porte même certains insectes à faire des provisions. Il serait intéressant de savoir si un régime substantiel ferait disparaître cette difformité. En ce cas, les Australiens n’auraient pas à accuser de leur disgrace la nature, mais leur propre imprévoyance.