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En s’élevant au nord, dans le désert, après avoir quitté les bords de la Darling, M. Mitchell put reconnaître, par ses propres yeux, que les rivières de ce singulier pays se perdent souvent dans les terres, de telle sorte que les nombreux cours d’eau dont l’Australie est sillonnée n’apportent jamais qu’un très faible contingent. L’expédition venait de traverser un district sec et sablonneux. L’horizon avait été borné toute la journée par des hauteurs au-delà desquelles il fallait trouver de l’eau, ou rester livré aux tourmens de la soif. On juge si nos voyageurs avaient hâte de les franchir ! Parvenus sur le plateau d’où la vue embrassait au nord tout l’espace occupé par une belle et large vallée, ils aperçurent, à leur grande joie, une rivière considérable dont le cours se déroulait en longs replis au centre de la vallée. Chose surprenante, cette rivière venait au-devant d’eux. La source en était donc au nord ; mais où en était le débouché ? Ils descendirent, et, au pied des collines, ils se virent arrêtés par un marais couvert de joncs. Ce fut à grand’peine un chemin à travers les tiges serrées de ce végétal, sur un sol mou et fangeux où les bœufs enfonçaient, où les chariots creusaient de profondes ornières. À l’issue du marais stagnant, ils rencontrèrent des milliers de gros ruisseaux qui partaient du courant principal, et qui, divisant la masse d’eau, la distribuaient dans toutes les parties du marécage, où le sol l’absorbait définitivement. Cette rivière s’appelait la Narran. Un examen attentif les convainquit que la chaîne de hauteurs empêchait seule la rivière de continuer paisiblement sa marche bienfaisante. En un certain endroit, où le sol s’abaissait, il s’était formé un étang très profond, et le travail des eaux avait miné le pied d’une des collines au point d’y faire une profonde échancrure ; avec le temps, les eaux se seraient sans doute ouvert un passage, si elles n’avaient rencontré le roc vif. Quelques coups de pioche bien dirigés suffiront un jour pour déchaîner le courant et pour répandre dans la contrée aride située de l’autre côté de ces collines la fertilité et l’abondance.

Il est aisé de se faire une idée des difficultés sans cesse renaissantes d’un voyage tel que celui de M. Mitchell. Si la sécheresse était un obstacle aux progrès de l’expédition, l’inondation n’était pas une moindre barrière. Les marécages menaçaient, dans les régions humides, d’engloutir sous la vase molle les chariots et les attelages. Sur les terrains secs, des forêts d’arbustes épineux déchiraient ces végétaux, qui est armée de pointes aussi longues et aussi acérées que des baïonnettes, fermait souvent la route et rendait les forêts impénétrables. Ici on arrivait, après une longue journée de marche, sur les bords désirés d’une rivière ou d’un étang : mais ces rives étaient si élevées et tellement perpendiculaires, que les bestiaux ne pouvaient approcher du courant : il en fallait tirer l’eau comme d’un puits, seau par seau, pour désaltérer les bouches si nombreuses de la caravane. Là le rivage était tellement détrempé, qu’on était obligé, pour y parvenir, de marcher dans la boue jusqu’aux reins. On souhaitait souvent la pluie ; mais, en tombant, elle traversait les tentes et inondait les voyageurs. D’un autre côté, il n’y avait pas de temps sec sans soleil, et le soleil est si ardent en Australie, qu’on en perd la vue et qu’on y gagne le vertige.

Cependant M. Mitchell, après neuf mois d’efforts, parvint à atteindre une chaîne de montagnes où il espérait trouver une rivière courant vers le golfe de Carpentarie et conduisant aux Indes orientales. Il ne lui restait plus qu’à s’élever