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direction du bivouac, et nous apprîmes en arrivant que nous étions destines à faire partie de la colonne du général Renaud, qui devait partir le 1er avril pour une longue course dans les oasis du sud. C’était pour nous une bonne fortune, et lorsque, quelques jours après, la colonne au long convoi quittait Saïda, nous étions tous heureux de pénétrer enfin dans ces régions d’où l’on raconte tant de choses étranges.

Un équipage de barils était porté par nos mulets, car des journées entières devaient se passer sans que le soldat pût trouver de l’eau. Deux mille chameaux des Hamians et des Harars étaient chargés de nos vivres et s’étendaient sur une seule ligne, descendant les légères collines, gravissant les petits mamelons, au chant monotone de leurs conducteurs. Devant ces rabatteurs d’une nouvelle espèce, les lièvres se sauvaient par centaines ; alors, les effrayant de leurs cris, leur jetant leurs bâtons noueux, les chameliers en avaient bientôt raison, et ceux qui leur échappaient tombaient sous la dent de nos lévriers. Le soir, le bivouac ressemblait à un vaste marché ; de feu en feu, les Arabes portaient leur chasse de la journée. Sur les plateaux du Serrsous, l’économie politique aurait pu, cette fois-là, justifier un de ses axiomes, car c’est à grand’peine qu’offrant un lièvre d’une main et tendant l’autre en disant donar soldi, les Arabes parvenaient à se défaire de leur marchandise, tant le massacre du matin avait été terrible.

Deux jours après, nous bivouaquions sur le bord des Chotts. Ces immenses lacs salés, desséchés l’été, ne sont praticables en avril que par un petit nombre de passages. Le lendemain, à la diane, tout le monde était debout ; hélas ! nous étions déjà depuis long-temps réveillés par les beuglemens des chameaux, que leurs conducteurs chargeaient afin de n’être point en retard. Ces cris sont l’un des supplices d’une marche dans le sud. De l’autre côté des Chotts, nous allions trouver le Bled-el-Rhela, le pays du vide ; mais au premier soleil, avant que notre pied se fût posé sur l’autre rive, il nous sembla que cette longue file de chameaux qui s’avançaient à de longs intervalles dans l’étroit passage prenait les formes les plus bizarres : aux uns on ne voyait plus qu’une tête immense ; les autres étaient gonflés comme des navires, plusieurs paraissaient jeter des flammes et flotter dans l’air ; fin quelques-uns marchaient les jambes renversées, les agitant toujours. C’était là un de ces singuliers effets de mirage si communs dans les Chotts, et que l’on traite de fables lorsqu’on ne les a pas vus.

Notre guide était un Arabe de proie, un homme des Hamians, flibustier des hauts plateaux, coureur d’aventures, au nez recourbé comme le vautoir, à l’œil noir et limpide, maigre, bronzé, à la physionomie calme, impassible, un vrai type du Saharien ; il nous conduisit près des puits, où, sous les branchages qui les recouvraient, nous trouvâmes une eau abondante et pure. Au départ, les branches qui devaient