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donner au vainqueur la belle paire de pistolets offerte par le général Renaud. L’enjeu était digne du péril, car jamais la croix de Berny en ses beaux jours n’offrit de plus grandes difficultés : 2,400 mètres, aller et retour ; murs, barrières, obstacles de toute sorte, rachées de palmiers dont il fallait se garer ; enfin, après une muraille en pierre, un mur en pisé taillé de façon à ce que le cheval sautât à trois pieds de haut dans une ouverture qui ne laissait que juste le passage de son corps (pour le cavalier, il devait jeter ses jambes sur le cou du cheval, s’il voulait éviter les blessures) : tel était le terrain de la course. Tout se passa selon les règles : un membre du jockey-club, un vrai membre, nous cria le départ en anglais ; et l’avalanche galopante franchit barrières et obstacles ; mais, hélas ! il y eut plus d’une chute, et je vous assure que faire panache, quand l’on va atteindre le premier le but, se trouver pris sous son cheval, la tête entre les jambes de derrière, de telle façon que, s’il n’était à moitié mort, au moindre mouvement il vous aurait cassé la mâchoire ; puis voir pointer successivement tous les autres chevaux dont les pieds retombent près de votre tête avant de franchir l’obstacle improvisé : c’est là une rapide et singulière émotion, qui a tout au moins le charme de l’imprévu. Tant tués que blessés, tout le monde se portait bien, et chacun de rire de ses mésaventures chacun de s’égayer. Ainsi le temps passait rapide, sans souci, sans inquiétude : c’est assez dire que nous n’avions pas de malades et que la colonne aurait pu supporter les plus rudes fatigues. Les oignons d’Égypte furent regrettés par les Hébreux dans le désert ; on peut donc bien pardonner à nos soldats d’avoir aussi plus d’une fois soupiré au souvenir des petits oignons si tendres de Bou-Semroun, lorsqu’il fallut remonter vers le nord, se diriger ensuite à l’est, enfin au sud, pour gagner l’Abiot-Sidi-Chirq, un village de marabouts célèbre dans le pays.

La pente du chemin était rapide. Enfin, au dernier col, un horizon immense s’ouvrit devant nous ; à notre droite, les hautes crêtes des montagnes formaient une moitié de fer à cheval ; à gauche, cette chaîne se prolongeait vers l’est. Au pied des montagnes, comme les réseaux d’un filet, se croisaient les dunes de sable. Cette houle jaunâtre allait se confondre avec l’extrémité de l’horizon dans une même ligne poudreuse ; face à nous, une plaine de cailloux de deux lieues nous séparait des quatre villages des Ouled-Sidi-Chirq, reliés par leurs jardins aux frais ombrages. Devant ces grands espaces, le poids qui jusque-là, dans ce pays affreux, pesait sur nous semblait s’envoler, et nous éprouvions tous un incroyable sentiment de fierté et de grandeur. Une mosquée, vénération des fidèles, occupe le centre des villages. Les chefs de cette importante tribu, dont l’influence religieuse s’étend sur tout le Sahara et jusque sur une partie du Tell, étaient