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venus au-devant du général pour lui offrir leurs respects et l’impôt demandé.

Nous étions au 30 avril ; depuis un mois, pas une nouvelle France. À plus de cent vingt lieues de la côte, les sables du désert s’étendaient devant nous ; c’était là, aux portes de ces contrées mystérieuses, que nous allions célébrer la fête du roi. Le soir, nos petits obusiers de montagne annonçaient la fête aux gens du sud et le lendemain chaque soldat exerçait son adresse pour mériter les prix qu’offrait le général. Courses de chevaux, courses de sacs, tir sur les moutons, jeux de toutes sortes, comme pour une fête de village, se célébraient au milieu des gais propos et des rires ; chacun oubliait ses fatigues et ne songeait guère qu’il se trouvait si loin des siens et de la France. Deux petits nègres, offerts en cadeau au général avec des autruches et des haïks, nous rappelaient pourtant que nous touchions au pays inconnu, et les grondemens du tonnerre[1], qui tous les jours, à l’heure de la prière (trois heures), se faisait entendre, semblaient comme les échos de ces terres lointaines dont on raconte tant de prodiges.

Il semble, en effet, que cette chaîne de montagnes qui voit mourir à sa base les dernières vagues de la mer de sable, soit comme une barrière placée par la main de Dieu pour arrêter l’homme du nord, lorsqu’il tente de pénétrer dans les régions inconnues. Du haut de ces pics arides, qui, d’espace en espace, s’ouvrent à peine par d’étroits passages, le voyageur peut contempler ces solitudes et ces sables à qui la voix du Seigneur a dit comme aux flots de l’océan : Tu n’iras pas plus loin ; mais si le chrétien doit, pour un temps encore, renoncer à les parcourir, l’Arabe, sous la protection de la foi musulmane, ne connaît point ces obstacles, et chaque année, attirées par l’appât du gain, de nombreuses caravanes sillonnent le désert, suivant maintenant encore les routes dont nous trouvons l’itinéraire dans Hérodote.

Ce sentiment d’inquiétude que tout homme ressent au moment de s’embarquer pour une longue traversée, d’affronter des dangers inconnus, l’Arabe d’ordinaire si impassible, l’éprouve lorsqu’il est sur le point de tenter une course au désert ; c’est qu’en effet ces longs voyages ne sont qu’une longue traversée ou, comme à bord d’un navire, la même organisation, la même discipline, doivent triompher des mêmes périls. Là, comme sur mer, lorsque les passages sont plus dangereux, pour se garantir des corsaires, l’on attend qu’une autre caravane vienne doubler les forces, et alors toutes deux quittent l’oasis de refuge et sans crainte s’avancent de concert. Le respect qui entoure

  1. Par un phénomène singulier, tous les jours d’été, vers cette heure, il s’élève un coup de vent et un orage à l’Abiot ; il dure environ deux heures.