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s’enfuir tant ils redoutaient d’être dévorés. Par deux fois, il y en eut qui parvinrent à rompre leurs chaînes comme l’on traversait un pays montagneux, couvert de broussailles. Heureusement pour les propriétaires, la caravane avait avec elle des kiafats, ces gens merveilleux qui lisent les traces, les moindres signes : quelques grains de sable foulés leur suffisent pour reconnaître, à ce qu’ils prétendent, l’âge, le sexe ; ils vont même plus loin : ils soutiennent qu’à son pas seul ils distinguent la femme de la jeune fille. Quoi qu’il en soit, dans les marais comme à travers les broussailles, un brin d’herbe, une feuille froissée, leur servaient à retrouver les fugitifs, et, lorsque tous croyaient avoir fait fausse route, l’on retombait toujours, grace à eux, sur la piste.

Tout à coup, pendant une de ces chasses, les kiafats s’écrièrent : « Tenez-vous prêts, un lion est ici ! — Alors plus d’un regretta sa tente ; mais tous les fusils s’armèrent. — Les pas du lion suivent les pas des Nègres, ajoutèrent les kiafats ; soyons hommes, car il ne peut être bien loin… Groupés aussi serrés que possible, les voyageurs avancèrent en silence, le fusil haut, précédés par les kiafats, qui tout à coup se jetèrent en arrière. — Voyez ! dirent-ils. Un énorme lion dormait au pied d’un arbre, sur lequel se cachait un nègre ayant au pied, retenu par sa chaîne, son compagnon ou plutôt les restes de son compagnon à moitié dévoré. Les chameaux effrayés se sauvèrent d’abord, et quand on se glissa pied à terre jusqu’à lui, le lion avait disparu ; mais le nègre tout tremblant restait encore dans l’arbre. N’ayant pu rompre les chaînes, les esclaves n’en avaient pas moins poursuivi leur fuite. Attaqués par un lion, tous deux avaient cherché à se réfugier sur un arbre, et d’un bond l’animal affamé avait saisi le moins agile, qui, lâchant prise, était tombé la tête en bas, et avait été dévoré sous les yeux de son compagnon. Le lion alors s’était endormi. »

Ce ne fut pas la dernière aventure du retour, et il fallut la vieille expérience de Cheggueun pour guider jusqu’au port tous ces gens qu’il commandait en maître absolu, comme le capitaine à son bord, ainsi qu’il le disait lui-même.

Vous rappelez-vous cette symphonie si pleine de charme que vous avez entendue à Paris il y a quelques années ? L’Orient avec tous ses parfums, le désert et cette impression pleine de majestueuse grandeur qu’il inspire, semblaient avoir été transportés en ces notes harmonieuses. La curieuse relation rapportée par M. Daumas nous a fait retrouver ce même caractère primitif du pays, de l’Arabe et de sa nature. Le récit de Cheggueun a tout l’imprévu d’un roman, et lorsque l’on arrive à la dernière page, on se surprend à dire : « Quoi ! déjà ! Ce n’est pas qu’il ne renferme les plus savantes et les plus curieuses recherches sur le commerce, sur la traite des esclaves et l’esclavage