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magyare, d’abord qu’elle avait peu de chances de succès, ensuite qu’elle ne pouvait être que funeste à la Turquie dans l’hypothèse d’une réussite. Supposez les Magyars vainqueurs des Autrichiens et des Russes, qu’arrivait-il ? C’est que les huit millions de Slaves de la Bulgarie, de la Servie, de la Bosnie, déjà surexcités par le rôle brillant que les Croates avaient pris en Autriche, associés d’ailleurs à toutes les ambitions de cette tribu de leur race, eussent couru aux armes pour venger sa défaite. Combien n’avait-on pas déjà vu de Serbes, de Bosniaques et de Bulgares passer la frontière et s’enrôler, soit sous les ordres de Jellachich, soit parmi les soldats du patriarche de Carlowitz ! Que serait devenue la Turquie le jour où cette levée de boucliers, au nom du principe de race, eût été générale ? quels périls n’eût pas courus sa suzeraineté ! Tous ces dangers étaient manifestes. Loin donc que la Turquie pût désirer la victoire des Magyars, elle savait bien que la seule expression d’une sympathie officielle pour la race magyare eût provoqué un élan contraire, une insurrection générale peut-être chez tous les peuples de la rive droite du Danube et de la Save. En un mot, les Turcs étaient, par le vœu manifeste des Bulgares, des Bosniaques et des Serbes, qui forment la majorité des populations de la Turquie d’Europe, placés dans l’impossibilité de conspirer de sentiment ou de fait avec les Magyars.

Non, ce n’est point là ce que l’on est en droit de reprocher au gouvernement turc ; sa faute, à notre avis, serait plutôt d’avoir perdu un peu du temps précieux que les événemens lui laissaient pour opérer dans son sein, parmi ces mêmes peuples de la Bulgarie, de la Servie et de la Bosnie, des réformes depuis long-temps nécessaires et dont l’effet eût été d’autant plus large que les imaginations étaient plus émues par les agitations d’alentour. Les Osmanlis ne doivent pas oublier que tout leur avenir est dans le succès de cette pensée d’union. Il y a en effet dans ces peuples les élémens d’une force nouvelle qui offre au divan son concours, non assez justement apprécié encore, pour tout essai de régénération au dedans ou de défense à l’extérieur. Une tribu peu nombreuse de la rare bulgaro-serbe, la Croatie, n’a-t-elle pas prouvé à l’Autriche, par une guerre d’une année en Italie et en Hongrie, ce que ces mêmes Bulgaro-Serbes sont capables d’apporter de puissance à l’empire ottoman ? Plus que jamais l’Autriche peut servir d’exemple à la Turquie. L’influence que le czar vient de conquérir en Hongrie rend la similitude des conditions plus frappante entre les deux empires. Il eût donc été désirable que la Turquie, avec autant de prudence et plus de sincérité que le cabinet de Vienne, imitât, à l’égard des Serbes, des Bulgares et des Bosniaques, la conduite que celui-ci a tenue envers les Croates il y a l’étoffe de plus d’un Jellachich dans les Balkans, et Constantinople peut trouver demain dans les Slaves de Turquie tout l’appui que Vienne a reçu de ceux de l’Autriche. Si l’Autriche avait su mieux faire usage de ce vigoureux concours, elle n’eût jamais eu besoin d’appeler les Russes à son aide pour vaincre l’impuissante race des Magyars ; si la Turquie savait accepter avec pleine décision l’appui des Bulgaro-Serbes, elle aurait peu à craindre des convoitises dont elle est le perpétuel objet.

S’agit-il d’inspirer à la Turquie l’ardeur d’initiative nécessaire pour pratiquer avec assez de hardiesse et d’étendue ce système de conciliation qui resserrait