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l’université, on est, selon le vent qui souffle et la mode qui règne, Arminius ou don Juan, Luther ou Saint-Just ; puis, l’université finie, on devient bon époux, bon père, bon bourgeois. Seulement, quand on rencontre con camarade d’école, on cause des grandes choses qu’on aurait pu faire, et on dit comme l’Oreste de Goethe dans l’Iphigénie en Tauride : « Souvent alors un de nous tirait son épée avec feu, et les belles actions à venir sortaient autour de nous, du sein de la nuit, innombrables comme les étoiles. » Hélas ! oui, pendant L’année 1848, en Allemagne, actions et hommes, que d’étoiles qui ont filé ! Mais pardon : il nous semble que nous apercevons la paille dans l’œil de notre prochain et que nous ne voyons pas la poutre dans le nôtre. Revenons à expliquer l’état de l’Allemagne.

Si quelqu’un n’avait pas lu les journaux allemands pendant trois mois seulement, nous le défierions bien comprendre quelque chose en ce moment. La scène et le langage ont tout-à-fait changé. Les paysages ne se succèdent et ne se renouvellent pas plus vite aux yeux des voyageurs dans les chemins de fer que les aspects politiques en Allemagne.

Et d’abord, de l’unité allemande qui faisait tant de bruit l’an passé, du parlement allemand ou même de la réunion de Gotha, il n’en est plus question cette année. À peine de temps en temps voit-on reparaître ces vieux mots ; mais on a déjà besoin d’en fixer le sens, tant ils commencent à devenir obscurs. Naguère l’unité voulait dire l’Allemagne entière : c’était le temps où on ne doutait pas à Francfort qu’on ne parvînt à médiatiser la Prusse et l’Autriche elle-même sous l’empire d’une nouvelle et irrésistible puissance, l’Allemagne mais quand on a voulu en venir aux effets, il s’est trouvé que cette nouvelle puissance n’était nulle part, qu’elle n’avait ni corps ni bras, qu’elle était incapable d’agir, que c’était un nom plutôt qu’une chose, un être à la façon des dieux d’Epicure, majestueux et impuissant. L’Allemagne, du parlement de Francfort ressemblait au dieu du spinosisme, si cher à l’Allemagne moderne, au dieu qui est partout et nulle part, qui est tout et qui n’est rien ; l’unité de l’Allemagne, pour parler comme les philosophes du pays, n’avait pas de personnalité. C’est par là qu’elle a échoué.

Après le grand évanouissement de unité allemande à Francfort, la Prusse a voulu en a voulu faire de la Prusse le noyau et le centre de l’unité allemande. Elle avait raison. L’unité allemande n’est pas une puissance matérielle ; c’est une idée et un sentiment. À ce titre, c’est une force. La Prusse a donc pensé que, si elle pouvait prêter un corps à cette ame qui en cherchait un, et à laquelle il ne manquait que cela pour figurer dans le monde, elle a pensé qu’elle pourrait beaucoup y gagner. La Prusse a donc fait à la fois deux choses qui nous ont semblé bonnes. D’une part, elle a, par la force des armes, vaincu et détruit la démagogie qui voulait s’approprier l’unité allemande et lui donner sa personnalité turbulente et anarchique ; de l’autre, elle a déclaré qu’elle se faisait l’héritière du parlement de Francfort, qu’elle reprenait l’œuvre qu’il n’avait pas pu accomplir, et qu’elle sauverait l’unité allemande des atteintes de la réaction absolutiste comme elle l’avait sauvée des atteintes de la démagogie. Nous avouons franchement que nous avons applaudi et que nous applaudissons encore à cette politique de la Prusse, si elle y persiste, ce qui devient chaque jour plus douteux pour nous.