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prophétiser le désastre de nos soldats, mais nous ferions connaître aux conseillers imprudens de pareilles mesures quelles difficultés et quels dangers nous attendraient sur l’autre rive de l’Atlantique.




Dans ce bienheureux XIXe siècle, où toutes les digues de la vanité et du faux jugement ont été rompues par le délire et l’impiété de l’esprit, la notoriété littéraire ne doit plus seulement, beaucoup le croient du moins, se conquérir par le talent et les qualités éminentes du poète et de l’écrivain. On prétend l’emporter par la violence e le bruit ; on se croit complaisamment un homme de génie, on se le dit, on le proclame au besoin, dès-lors il faut que le public et les théâtres vous acceptent comme tel bon gré mal gré. Le renom, l’admiration de la foule est un trésor qu’on espère enlever de force, ainsi qu’une place de guerre. Pour cela, comme dit le charmant humoriste Henri Heine, à qui la douleur n’ôte rien de son esprit, on soigne sa gloire : c’est-à-dire qu’on va trouver les hauts barons de la presse et du feuilleton, on les apitoie sur les infortunes d’un génie méconnu, on réussit quelquefois, à force d’assiduité, à convaincre les plus sceptiques de son talent, et on croit le tour fait. N’est-ce pas l’histoire de beaucoup dans cette république des lettres qu’on veut souvent aussi transformer en tyrannie ? Mais la gloire ne se laisse pas plus violenter que la conscience : elle fuit les insensés qui veulent la ravir sans mission.

On n’a pas oublié peut-être certain concile littéraire tenu assez bruyamment, il y a quelques années, en faveur de M. Adolphe Dumas, dont le Théâtre-Français avait justement repoussé l’École des Familles. Les brevets les plus glorieux furent plaisamment délivrés à l’auteur par des hommes de talent, qui certainement se moquaient tout bas de la comédie refusée. N’importe, les journaux enregistrèrent sérieusement les pièces de ce singulier concile, et le poète éconduit vit panser ses blessures. Après tout, il en est venu à ses fins, qui étaient de rentrer en conquérant au Théâtre-Français, le seul à plaindre peut-être en toute cette affaire. À coup sûr du moins, la comédie jouée par les grands écrivains que nous savons a été plus divertissante que celle que le Théâtre-Français reléguait sur une scène de boulevard, plus divertissante aussi que la pièce qu’il vient de représenter, et qu’il a eu le tort d’accueillir, non pas à cause de l’éclat fait contre lui, mais à cause de la valeur de l’œuvre. Il est bon d’être clément ; mais il faut une raison à la clémence, et nous ne la trouvons guère dans la comédie nouvelle.

Est-ce bien à notre génération que s’adresse le drame prétentieux de M. Adolphe Dumas ? En vérité, on se demande si c’est en 1849, au lendemain d’une révolution qui a remué la société dans ses dernières profondeurs, qu’on est condamné à entendre ces tirades byroniennes, à suivre dans ses ténébreux replis de intrigue mélodramatique, à voir défiler ces types risiblement solennels. Évidemment M. Adolphe Dumas s’est trompé de dates, et sa comédie aurait dû naître il y a quelque quinze ans, au plus beau temps des éphémères excentricités du drame moderne. Alors, en effet, le lyrisme était de mode, et l’installation