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au cirque de Salasie, près du Piton des Neiges. Ce vallon de Salasie, le gouvernement de juillet voulait en faire un lien de déportation ; la république va exécuter ce projet. Pour se rendre à Salasie, on prend d’abord la grande route qui longe le bord de la mer. La première heure de ce chemin a quelque chose d’imposant, mais de triste ; le vent qui siffle et mugit dans les filaos (espèce de casuarina), le grondement de la mer qui se brise sur la plage, les secs retentissemens des galets roulés par les vagues, assombrissent l’ame. Dans la saison de l’hivernage, on se hâte de franchir les cinq bras de la Rivière des Pluies ; un orage soudain pourrait faire déborder le torrent, qui tombe alors avec fracas, déracinant les arbres et les rochers. Mais, dès qu’on approche de Sainte-Suzanne, la nature s’embellit, la végétation s’enrichit, on ne serre plus la mer de si près ; les cultures sont plus soignées, les habitations mieux entretenues, et, jusqu’à Saint-André, ce n’est plus qu’une route charmante, douce, bien tracée bien aplanie, bordée de jardins en fleurs, de haies de roses et du plus délicieux feuillage. La poitrine se dilate, le cœur s’épanouit dans cette atmosphère de parfums, aux fraîches brises du matin. On sent autour de soi le bien-être et l’aisance… Que disons-nous ? C’était au mois d’avril 1848 : le bouleversement de février n’avait pas encore retenti à Bourbon, les nègres n’avaient point déserté leurs travaux ; les clôtures parfaitement alignées, les champs de cannes nettoyés de toute herbe parasite, témoignaient du bon ordre et de l’état prospère de la colonie. Quel autre langage les faits nous imposeront bientôt !

On quitte la grande route à Saint-André, et, pendant trois heures, on suit jusqu’à la Mare à poule d’eau le lit de la rivière du Mât, espèce de torrent encaissé dans une déchirure profonde du sol. Au moment d’entrer dans le lit de cette rivière, où l’on pénètre par un sentier étroit, par une sorte d’embrasure de montagne, le tableau qui se déroule sous vos yeux est saisissant et enchanteur. De la berge élevée qu’on va redescendre ; le fond du torrent présent une plaine elliptique, rayonnante de verdure, semée de jolies maisons, sillonnée de méandres bleuâtres tracés par les galets volcaniques, et serrée entre les escarpemens à pic des mornes. À l’extrémité opposée s’ouvre, au milieu de replis montueux, de murailles verticales de basalte, la gorge des montagnes que le chemin gravit en lignes tortueuses. La voie est tracée habilement et, pour ainsi dire, accrochée aux deux flancs de la crevasse. On a profité de tous les ressauts, des paliers rocheux, des moindres accidens qu’on a pu saisir ou faire naître dans les escarpemens du ravin, pour soutenir le chemin ; rapportant ici des terres, là des murs en pierres sèches ; jetant d’une rive à l’autre un pont de bois ou des poutres sur le passage creux de quelque torrent secondaire. De tout cela résulte une route gracieuse, pittoresque, variée de mille tableaux