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fait une large part de ses bâtimens pour la sécurité de la colonie, était l’établissement d’un service de communication bimestrielle à la vapeur par la mer Rouge entre la France et ses possessions de l’Océan indien : projet utile, surtout dans la crise où nous nous trouvions, mais qui, malgré un premier essai favorable, a disparu, comme tant d’autres, sous le souffle destructeur de février. Si les troubles de la France n’avaient pas suspendu l’envoi du charbon, le commandant se fût transporté à Aden ou à Suez ; mais, dans l’état de discrédit où était tombé soudain notre malheureux pays, quand partout le commerce repoussait les traites sur le trésor public, c’était sur Bombay qu’il fallait s’appuyer pour tenter l’entreprise. Nous étions au mois d’août : à cette époque, la combinaison des moussons faisait de Bombay le point central de la station de la mer des Indes ; centre d’approvisionnement de toute sorte, à vingt jours de Bourbon, à huit d’Aden, à un mois de Paris, dont on recevait les lettres deux fois par mois, c’était le point forcément indiqué au commandant de la division navale, soit pour embrasser toute sa station, soit pour provoquer les ordres du nouveau gouvernement de la France. Le 16 août, nous étions aux Seychelles, et le 11 septembre nous mouillions sur la rade de Bombay. Ce fut là enfin, au milieu de cette race énergique des Anglais de l’Inde, parmi ces hommes si fiers de leur nationalité, de la stabilité et de la durée de leurs institutions, qui leur assurent l’empire du monde, que se déroula pour nous le tableau du 24 février avec toutes ses conséquences.

Quand une nation comme la France juge à propos de changer ses institutions, de substituer une forme de gouvernement nouvelle aux formes antiques à l’abri desquelles elle a grandi et pris rang dans le monde, elle doit à l’univers, elle se doit à elle-même de justifier non-seulement la légitimité, mais encore la nécessité de ce changement. L’estime et la sympathie des autres nations sont à ce prix, car toute révolution violente entraîne des déchiremens et des bouleversemens que la grandeur et l’impérieuse nécessité du but peuvent seules excuser. La puissance d’une nation, comme celle des particuliers, son influence dans le monde, tiennent surtout à la grandeur de ses actes, la stabilité de ses institutions, à sa persévérance dans de glorieux desseins. Rien ne l’élève comme la constance, rien ne l’abaisse et ne la dégrade autant que l’instabilité et de vains caprices. Quel Français voyageant à l’étranger n’a béni mille fois le prestige dont l’entourait, dans ces dernières années, son caractère national ! On oubliait les sombres jours de 93 en faveur des nobles conquêtes de la liberté, on plaignait notre patrie d’avoir été contrainte d’acheter sa régénération au prix de tant de sang et de crimes ; mais enfin la France semblait avoir trouvé sa voie. Nos lois étaient les plus justes et les plus douces du monde. Toutes les idées nobles et généreuses avaient chez nous un foyer, tous les malheureux