Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nos idées et de nos principes. Eh bien ! appliquez à Java, à ce rubis de la mer des Indes, qui, à elle seule, fait du petit peuple hollandais une puissance maritime de premier ordre, appliquez-lui notre code civil et les articles de notre constitution, et immédiatement une nuit profonde l’enveloppera, et elle retombera dans les ténèbres et les misères de la barbarie. Puis, quand on a conquis, il faut gouverner. Or, l’administration des conquêtes lointaines exige une suite, une persévérance dans la politique, une stabilité dans les institutions, qui se trouvaient peut-être dans les conseils et la monarchie de Louis XIV, que les Anglais possèdent au plus haut degré, dont la Hollande est un parlait modèle, mais dont la France moderne semble se montrer incapable. Nous n’aurions pas proposé au gouvernement de juillet, à ce gouvernement des classes moyennes, la conquête de Madagascar ; l’inconsistance de nos assemblées eût frappé cette politique d’impuissance. Encore moins la proposerons-nous à la république : attacher à la France des peuples lointains qu’on ferait contribuer à sa grandeur, à sa puissance, en créant de grandes fortunes, de grandes existences sociales, en consacrant même à son profit l’inégalité des conditions ; mais si cela existait, si le passé nous avait légué ce splendide établissement, tous nos apôtres des droits de l’homme prêcheraient une croisade pour l’anéantir !

Ces pensées sont désolantes : nous ne voulons pas les assombrir encore et augmenter nos regrets par des détails trop vifs sur les établissemens que notre pavillon devrait couvrir le long de cette côte ; cependant nous ne pouvons les passer entièrement sous silence. On sait assez quelles merveilles de culture les Hollandais ont réalisées à Java, dans les plaines fécondes comprises entre Batavia et Samarang. Eh bien ! ces miracles de l’industrie sucrière, un Français, un simple particulier, soutenu par une maison de commerce de Bourbon, les a, ainsi dire, improvisés à Madagascar avec les seuls habitans du pays. Sur un espace de quatre-vingts lieues de côtes, il a su échelonner et des sucreries et des guildiveries, et des postes nombreux pour la traite du riz et des boeufs. Le premier de ces établissemens s’élève sur les bords pittoresques et sauvages de la Rangana, au sein d’une forêt vierge qu’il a fallu défricher, et dont les arbres séculaires ont fait place aux végétaux les plus riches et les plus élégans de l’Inde et de la Malaisie : une cascade qui tombe de plus de trente-cinq pieds de haut à travers les rochers répand dans le paysage une splendeur saisissante. Deux autres sucreries s’étendent au milieu des riches et fertiles plaines que chaque année le limoneux Mananzary, semblable au Nil de la Basse-Égypte, arrose et féconde de ses débordemens. Près des rives de l’Yvondrou, dans toute la luxuriance d’un sol d’alluvion, chauffé par le soleil de