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les deux personnages sont Alphonse Ier, second duc de Ferrare, et Laura de Dianti, sa maîtresse, puis sa femme. Il existe plusieurs répétitions modifiées de ces magnifiques portraits. Tant qu’Alphonse ne vit en Laura qu’une maîtresse, il permit au pinceau du peintre des indiscrétions de costume ; mais, dès qu’à la fin de sa vie il l’eut épousée, après la mort de Lucrèce Borgia, sa seconde femme, et qu’à son nom de Laure il eut substitué celui d’Eustochia, il devint orageux et méfiant, et la tunique se ferma.

Le superbe portrait du Louvre peint par le même artiste, et donné comme l’effigie de l’Arétin, ne peut être l’Arétin : on possède de cet étrange poète trop de médailles authentiques pour s’y tromper.

Jusqu’ici encore, nous avons admiré au Louvre, — à titre de portrait de Charles VIII peint par Léonard de Vinci, — la figure de Charles d’Amboise, deuxième du nom, maréchal de Chaumont, gouverneur de Milan sous Louis XII. — Qui ne connaît également au Louvre cette Belle Ferronnière, maîtresse de François Ier, peinte par Léonard de Vinci, et tant de fois reproduite par la gravure d’après le tableau de notre Musée, dont il est un des joyaux les plus prisés ? Eh bien ! la peinture est certainement de Léonard ; mais, quant au modèle, c’est encore une attribution hasardée, attendu que le grand peintre ne vint en France qu’après la mort de cette beauté célèbre[1]. D’ailleurs, Léonard, malade durant tout son séjour en France, de 1516 à 1519, n’y exécuta aucune peinture, et, ne s’y souvenant guère que de son titre d’ingénieur-général des armées de César Borgia, s’occupa seulement de projets de défense militaire et de canalisation pour l’assainissement de la Sologne. Il en est, on le voit, de ces ressemblances comme des mots historiques, pour la plupart faits après coup, comme de certains traits anecdotiques fort piquans, qui ne sont aussi que des caprices d’imagination. Croyez donc maintenant à l’historiette touchante de Léonard de Vinci mourant dans les bras de François Ier ! Il faudrait n’avoir point consulté l’itinéraire authentique du roi, car cet itinéraire démontre que François résidait paisiblement à Saint-Germain-en-Laye pour assister à l’accouchement de la reine, alors que le pauvre peintre expirait au château de Cloux, près d’Amboise.

Subjuguée par la grace ineffable du style de Raphaël, la tradition, décorant sa personne du cachet de ses œuvres, a voulu faire de ce grand peintre le type de la beauté. Tantôt elle le reconnaît dans le portrait de Bindo Altoviti, qui est à Florence[2], tantôt dans la figure du duc d’Urbin, qui est au centre de l’École d’Athènes, tantôt dans cet adolescent d’une quinzaine d’années, aux cheveux blonds couverts d’une toque noire, qu’on voit au Louvre. Comment, à un âge si tendre, se fût-il peint lui-même d’une façon si profonde, si merveilleuse, d’ailleurs si éloignée de sa première manière[3] ? La tradition veut le retrouver encore dans ce portrait de notre Musée connu sous le nom de Raphaël et son maître d’armes ; mais d’abord ici le modèle est brun, et Raphaël

  1. Les uns, et du nombre est le père Dan (Trésor des Merveilles de Fontainebleau, 1642), veulent que ce soit une duchesse de Mantoue ; d’autres y reconnaissent Lucrezia Crivelli.
  2. Portrait isolé vu de trois quarts et coiffé d’une toque, peint par Raphaël, dessiné par Boucher-Desnoyers et gravé par Forster.
  3. Ce portrait de la main de Sanzio a été également gravé par Forster.