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naturel qui forme l’attribut distinctif du beau sexe, il faut avouer aussi qu’il eut le défaut de cette qualité, et qu’à force de molle élégance dans l’ensemble, à force de regards allumés ou baignés dans la langueur, il donna maintes fois à ses modèles un air libre et provoquant. En résumé, sir Thomas, malgré tous les défauts qui déparent son talent, trop éloigné de l’austérité des règles de l’art, fut un coloriste plein d’éclat, un peintre d’expression et de merveilleuse adresse. Du milieu de la Plèbe de figures obscures qui malheureusement a si fort absorbé son pinceau, se détachent quelques belles effigies dignes de la postérité : hommes politiques, poètes, artistes, savans, beautés illustres. – William Pitt, la comtesse Gower, aujourd’hui duchesse de Sutherland ; lord Aberdeen, lady Cowper, si Francis Baring et sa famille, lady Georgina Agar Ellis, maintenant lady Dovor douairière ; le pape Pie VII et le cardinal Consalvi, le Pitt de Rome, comme Lawrence l’appelait ; lady Blessington et miss Croker, maintenant mistress Barrow, ont reçu de son pinceau une vie nouvelle et doivent compter parmi ses chefs-d’œuvre. Il faut y placer encore le sculpteur Flaxman, le peintre Fuseli et mistress Wolfe ; mais c’étaient là des portraits d’amis ou des enseignes à réputation auxquels on donne la fleur du pinceau, « le dessin de tous les paniers ; » comme disait Mme  de Sévigné, la grande coloriste.

Des enseignes à réputation, ce mot dit tout. Voyez Van Dyck. Le roi Charles Ier d’Angleterre l’appelle à sa cour, l’y loge, lui demande de le peindre. L’artiste, avant de prendre le pinceau, veut avoir lu à livre ouvert dans cette ame royale ; il passe huit jours avec le roi dans sa galerie de tableaux ; il observe en son modèle ces lueurs fugitives de la physionomie qui livrent les secrets du cœur. Aussi, quand il se met à l’œuvre, il fait miracle : dans cette tête dit premier gentilhomme de son royaume sont gravées en traits ineffaçables toutes ses destinées. Van Dyck jeta de même son temps à pleines mains pour les grands personnages de cette belle galerie décorée de son nom au château de Windsor. Il fut également prodigue et pour la duchesse de Southampton, et pour le comte d’Arundel, et pour quelques autres grands d’alors ; mais vint le moment où, ne pouvant se dominer assez pour rester long-temps en place devant la même toile, il régla la durée de ses séances comme un maître d’escrime[1].

  1. « Le fameux Jabac, homme connu de tout ce qu’il y a d’amateurs de beaux-arts, qui était des amis de Van Dyck et qui lui a fait faire trois fois son portrait, m’a raconté qu’un jour, parlant à ce peintre du peu de temps qu’il employait à faire ses portraits, il lui répondit qu’au commencement il avait beaucoup travaillé et peiné ses ouvrages pour sa réputation, et pour apprendre à les faire vite dans un temps où il travaillait pour sa cuisine. Voici quelle conduite il m’a dit que Van Dyck tenait ordinairement. Ce peintre donnait jour et heure aux personnes qu’il devait peindre, et ne travaillait jamais plus d’une heure par fois à chaque portrait, soit à ébaucher, soit à finir, et, son horloge l’avertissant de l’heure, il se levait et faisait la révérence à la personne, comme pour lui dire que c’en était assez pour ce jour-là, et convenait avec elle d’un autre jour et d’une autre heure. Après quoi, son valet de chambre venait nettoyer ses pinceaux et lui apprêter une autre palette, pendant qu’il recevait une autre personne à qui il avait donné heure. Il travaillait ainsi à plusieurs portraits en un même jour d’une vitesse extraordinaire… » « Après avoir légèrement ébauché un portrait, il faisait mettre la personne dans l’attitude qu’il avait auparavant méditée, et, avec du papier gris et des crayons blanc et noir, il dessinait en un quart d’heure sa taille et ses habits, qu’il disposait d’une manière grande et d’un goût exquis. Il donnait ensuite ce dessin à d’habiles gens qu’il avait chez lui, pour le peindre d’après les habits mêmes que les personnes avaient envoyés exprès à la prière de Van Dyck. Les élèves ayant fait d’après nature ce qu’ils pouvaient aux draperies, il repassait légèrement dessus et y mettait en très peu de temps, par son intelligence, l’art et la vérité que nous y admirons.
    « Pour ce qui est des mains, il avait chez lui des personnes à ses gages, de l’un et de l’autre sexe, qui lui servaient de modèles. » De Piles, Cours de Peinture par principes, page 291.