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variété, du portrait d’ami. Le chartreux Bonaventure d’Argonne, ou plutôt Vigneul de Marville, dans ses Mélanges d’histoire et de littérature, a fortement raison de dire que l’amour-propre est un admirable peintre qui ne manque jamais ses coups, témoin le Poussin, Ant. Van Dyck, Eustache Le Sueur, Le Brun, Hyacinthe Rigaud, Pierre Mignard et tant d’autres, qui se sont peints eux-mêmes. « Que faites-vous là ? demandait-on à Mignard, un jour qu’il peignait le portrait de sa fille. — Je ne fais rien, répondit-il, l’amour-propre fait tout, et je le laisse faire. » Comment oublier, à cette occasion, l’ingénieuse tradition grecque qui prête à l’amour l’origine du portrait, laquelle fut en même temps celle du dessin ? La main paternelle de Mignard produisit un aimable tableau de famille, conservé dans les galeries historiques de Versailles. La belle comtesse de Feuquières, peinte à mi-corps, tient dans sa main un croquis de la figure de son père.

Rien aussi de plus individuel que les portraits de la mère Angélique et de la mère Agnès de Port-Royal par Philippe de Champaigne ; rien de plus vrai que les portraits de Claude Perrault et de François Mansart peints, en 1656, sur une même toile, par le même artiste, toujours précis et fin, encore qu’un peu froid. Généralement les figures de Champaigne demanderaient plus de sève et de vie, et l’on pourrait sans injustice dire de lui qu’il n’est que le commencement d’un grand peintre, et que le mens agitat molem lui fait défaut. Toutefois ces portraits des deux nobles solitaires et ces portraits gémeaux de Claude Perrault et de François Mansart sont d’excellens ouvrages comptés parmi les chefs-d’œuvre du maître. Les portraits en pied de Louis XIV, de Philippe V, du grand Bossuet, au Louvre, et de Louis XV enfant, à Versailles, par Hyacinthe Rigaud, sont, les trois premiers surtout, de magnifiques portraits officiels. On trouve de dignes pendans des chefs-d’œuvre de Champaigne dans le Mignard et le Le Brun peints sur une seule toile par le même Rigaud, et le Jules Hardouin Mansart de ce maître est l’un des beaux portraits de l’école française. Quelques Claude Lefèvre, quelques Nicolas Largillière ont de l’étude, de la vigueur et de l’éclat. D’autres peintres du même temps, gens de moins de bruit dans la sphère du portrait que les Mignard, les Le Brun, les Rigaud et les Largillière, ont aussi fait des têtes bien vues, bien exécutées, et qui doivent être ressemblantes. Ainsi le portrait de Mlle Chéron, peint de sa propre main, est un excellent morceau de cette femme extraordinaire, en même temps musicienne, écrivain et peintre, et à qui nous devons encore les têtes fort bien faites de Nicole de Port-Royal, de Mlle de Scudéry, de Mme Deshoulières, de la comtesse d’Aulnoy et de Mme Guyon La quiétiste. L’honneur de la portraiture a été de même soutenu par Jean Jouvenet, dont Tortebat nous a, de son côté, donné un très beau portrait. Avec Joseph Vivien, qui a peint Fénelon, citons encore les frères Henri et Charles Beaubrun, qui ont beaucoup travaillé pour la cour de Louis XIV. Versailles possédait de Carlo Maratti deux superbes portraits autrement forts qu’aucun des tableaux de ce peintre de la décadence italienne : l’architecte Le Nostre et Marie-Madeleine Rospigliosi, plus connue sous le nom de la maîtresse de Maratti ; le musée du Louvre a revendiqué ce dernier tableau. Mlle de La Vallière, en nymphe chasseresse, robe de satin, à Versailles, est d’un pinceau plein de la bonne volonté de bien faire et doit avoir ressemblé. Enfin, la duchesse de Fontanges, au Louvre, par Simon Verelst, est d’un si beau marbre, qu’elle forme