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un tableau agréable, tout froidement peint qu’il paraisse de près. Une chose y blesse singulièrement, c’est l’incarnat exagéré des lèvres qui, vu l’ombre du nez, donne à cette beauté illustre, comme à d’autres beautés du siècle, « l’air d’un perroquet mangeant une cerise. »

Le public, toujours passionné, ne tire ses jugemens que de ses sensations ; également juste ou injuste par accès, il ne se laisse convaincre, en affaire d’art, que par séduction. Aussi s’est-il laissé prendre aux charmantes étourderies, aux jeux étincelans de l’école Louis XV ; mais à voir ce qui suivit, à voir les toiles plâtrées de l’empire, on s’ouvre malgré soi à l’indulgence pour le goût Pompadour. Qu’est-ce encore, à côté, que tout ce papillottage de la petite peinture de nos jours, tripotée sans forme sur la toile avec le couteau à palette ? Oh ! que j’aime mieux mille fois ces adorables marionnettes du temps de Louis XV ! ces belles aurores si paresseuses à se lever ! Il y a délice au moins à faire halte dans ces boudoirs où le rêve flotte sur un fond de vague volumpté, à s’égarer dans ces bosquets embaumés d’opéra-comique à la Crébillon fils. Parfois il en sort des perles d’harmonie, de goût et de grace. Cherchez à Versailles, dans la précieuse galerie des attiques, les tableaux de Carle Vanloo, ce véritable artiste digne de naître à une époque plus sérieuse ; regardez la toile où il s’est représenté, au milieu de sa famille, peignant sa fille aînée, une délicieuse enfant de la race des fleurs, quatorze à quinze ans, lutinée par un frère espiègle ; est-il quelques chose de plus séduisant et de plus aimable ? Voici François Boucher, le peintre menteur, le grand étalagiste de chair fraîche, qui, suivant l’expression d’un artiste ancien, nourrissait de roses ses modèles, et fut le bouc-émissaire des débauches de couloir et de naturel dévergondé de son temps : son portrait, peint en buste avec les mains par ce même Vanloo, est tout simplement de l’excellente et forte peinture. Il faudrait un Meissonnier pour faire pâlir ce charmant bijou du salon du prince de Conti, en 1763, dans lequel le petit Mozart, âgé de huit ans, improvise sur le clavecin près de Géliotte qui pince de la harpe. L’auditoire se compose de plus de vingt grands personnages de l’époque ressemblans comme de bonnes miniatures. Eh bien ! ce tableau est d’un nommé Michel-Barthélemy Olivier qu’on connaît à peine. Une des perles de Versailles est le portrait de Marie-Françoise Perdrigeon, femme d’un certain Boucher, non le peintre, mais un secrétaire du roi. Un bon coloriste, Jean Raoux, l’a peinte en 1733, en pied, sous la figure d’une vestale.

Que de soins lui coûta cette tête charmante !

Rien de suave, de jeune, coquet et galant comme cette vestale souriante en satin blanc ; c’est un bouquet[1]. Il en est de même de Louise-Diane d’Orléans (Mlle de Chartres), princesse de Conti, que je crois de Nattier. Les portraits de la bonne reine Marie Leczinska et de Mesdames de France foisonnent, tous plus beaux les uns que les autres ; aussi sont-ils des grands faiseurs, les Carle et Jean-Baptiste Vanloo, les Jean-Marc Nattier, les Louis Tocqué, les François-Hubert Drouais, les Heinsius, les Belle. Celui de Carle Vanloo sent à plaisir la main facile de cet aimable improvisateur ; on ne peint pas avec plus d’aisance et de goût les ajustemens

  1. Ce portrait a été gravé en 1734 par Ch. Dupuis. Mme Boucher était morte, cette même année, pagée de dix-sept ans.