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particuliers à son pays cette circonstance, qu’aux États-Unis les esprits impatiens de la règle peuvent toujours se soustraire à son empire par un simple déplacement. Les hommes qui envisagent l’accomplissement des devoirs sociaux comme une charge et non comme une obligation, qui envisagent la loi comme un frein et non comme la traduction des inspirations de la conscience humaine, qui consentent à ne rien recevoir de la société, pourvu qu’elle ne leur demande aucun sacrifice sous le rapport de l’intérêt ou sous le rapport des passions, ces hommes, au lieu de se mettre tôt ou tard en révolte contre la société, comme en Europe, échappent à tout devoir et à toute contrainte en émigrant dans les forêts de l’ouest, où ils peuvent vivre uniquement pour eux-mêmes. Là, comme le reconnaît M. Carey, la force est la seule loi, et quiconque est résolu à ne rien demander à un voisin, à se suffire par lui-même et à se défendre, peut être assuré de n’avoir à rendre compte à personne ni de ses sentimens ni de ses actes.

Ces esprits farouches sont en tout pays de rares exceptions ; il n’en est pas moins vrai que les forêts de l’ouest offrent le champ le plus vaste que l’imagination puisse rêver à toutes les tête ardentes à tous les caractères aventureux qui redoutent moins le danger ou les privations que la perspective d’une existence forcément régulière et de longues années de travail. Tous ceux à qui des passions violentes ou des torts de jeunesse, ou de simples infractions aux convenances sociales, ont créé une situation pénible au milieu d’une société sévère et intolérante, vont chercher dans l’ouest l’oubli du passé et le bien-être de l’avenir. Ajoutez-y les hommes qui, nés dans la pauvreté, ont le désir de s’en affranchir promptement, et ne peuvent compter ni sur l’emploi d’un capital qu’ils n’ont pas, ni sur leurs talens naturels ou acquis, ni sur leur habileté professionnelle ; tous ceux qui n’ont d’autre avoir que des bras vigoureux et la ferme volonté de parvenir. Voilà quel a été le point de départ des jeunes états, quel est aujourd’hui encore le point de départ des états qui naissent.

Quand ces rudes pionniers, après plusieurs années d’une existence solitaire, ont fait une éclaircie dans la forêt et défriché quelques arpens, il leur arrive souvent de céder leur conquête à de nouveaux venus un peu plus riches qui peuvent leur acheter le terrain défriché, et de s’enfoncer plus loin dans le désert. Il n’est pas rare de rencontrer dans l’Illinois des vieillards partis de la Nouvelle-Angleterre ou de la Pensylanie au commencement du siècle, et qui, atteints tous les dix ans par le flot de l’émigration intérieure, ont parcouru de station en station l’espace qui sépare les côtes de l’Atlantique des rives du Mississipi. Lorsqu’un certain espace a été défriché, lorsque des maisons ont remplacé la partie disparue de la forêt, lorsque des maisons en bois succèdent aux huttes des premières années ; lorsque le désir de recevoir un journal et de rentrer en communication avec la société a fait donner