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ainsi, d’une très petite limande, mais enfin d’une limande. Les Françaises comprimant au contraire les deux côtés du pied, l’allongent pour le rendre plus étroit, le chaussent d’une sorte de gaîne et se font à leur tour un pied de convention qui, le genre admis, est assurément fort gracieux, mais qui n’a aucun rapport avec ce que le Créateur avait imaginé. Où a-t-on raison ? Est-ce à Pékin, à Séville ou à Paris ? La question est difficile à résoudre : je la laisserai pendante, ne voulant me faire de mauvaises affaires avec personne, et je m’en tirerai par un faux-fuyant. Ici, comme ailleurs, c’est l’antiquité qui seule n’a pas tort, et je voterais volontiers pour les pieds naturels que modelait Phidias et pour les sandales d’Athènes.

Mais ce qui est charmant en Andalousie, je veux revenir et insister sur ce point, c’est le trato. Le trato, ce n’est pas précisément l’hospitalité, c’est l’accueil, la manière de se recevoir, de se traiter, car il a fallu inventer un mot pour désigner ce genre de politesse affectueuse, intime, qui n’a pas de nom en France, et pour cause. Entre le code de civilité de Paris et celui de Séville, il y a toute la différence de la simplicité à la rouerie, de la bonhomie à la ruse. En France, la politesse est un art, un raffinement ; elle est toute naturelle, toute primitive en Espagne. Ici elle est dans l’éducation, et là dans le caractère. Céder à toute femme dans la rue sa place sur le trottoir, au cirque sa place à l’ombre, lui offrir au café, si elle est assise auprès de vous, la glace qu’on vous sert, c’est une habitude de politesse élémentaire à laquelle, en Andalousie, le plus grand seigneur ne manque jamais vis-à-vis même de la plus humble manola, et le plus pauvre hère envers la plus élégante dame ; mais cela n’est point le trato. Le trato, c’est, pour ainsi dire, la politesse du cœur, c’est-à-dire une politesse qui va presque jusqu’au dévouement, et que ne constitue en rien cet échange de saluts, de coups de chapeaux et de phrases banales qui suffit chez nous aux hommes bien élevés. L’accueil qui m’avait été fait un soir dans le patio d’Ecija vous indiquera peut-être mieux que mes définitions la nuance que je voudrais saisir. Cherchons d’autres exemples. Vous êtes, je suppose, à la promenade, à la Alameda del Duque : une femme est assise auprès de vous ; si vous avez dans la tête une idée ou le désir de la connaître, vous lui adressez tout simplement la parole ; elle vous répond sans embarras, la conversation s’engage. Quoique très ignorantes en général, les femmes, en Espagne, ont un tact merveilleux ; elles flairent à une lieue les intrigans et les mauvais plaisans. Si votre interlocutrice juge que vous êtes un homme de bonne façon, un caballero bien élevé, une heure ne s’est pas écoulée qu’elle vous invite à venir chez elle, et elle met, selon l’expression espagnole, sa maison à votre disposition. Si pareille proposition vous était faite à Paris, vous sauriez ce que cela veut dire ; il faudrait se garder à Sé-