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de la fameuse maxime espagnole : « Nous sommes tous seigneurs dans ce pays. » Aussi ce peuple s’inquiète-t-il peu des libertés politiques ; il ne demande point à écrire fastueusement sur son étendard ce grand mot aussi vide que sublime égalité ! Il sait à merveille, il sent, il croit que tous les hommes sont égaux devant Dieu, et ce sentiment, qui le relève à ses propres yeux, est placé assez haut dans son cœur pour qu’il lui soit parfaitement inutile de le lire écrit sur toutes les pierres, sur toutes les planches, à tous les carrefours. On n’écrit si souvent que ce qu’on n’est pas sûr de retenir. Les grandes vérités se proclament d’elles-mêmes, et je me méfie du sens que l’on veut donner à celles qu’on ressasse à tout propos.

J’ai promis de ne pas être pédant aujourd’hui, et il faut m’en savoir gré, car, à propos de la cathédrale de Séville, la plus magnifique église que je connaisse, j’avais une belle occasion de faire un chapitre d’archéologie. Rien ne m’empêchait de vous décrire dans leurs moindres contours ces grilles de fer, chefs-d’œuvre du genre, de vous raconter ces mille et un panneaux de bois de cèdre si merveilleusement fouillés, que le moindre a dû coûter à un sculpteur amoureux de son art le travail de toute sa vie, et ces nervures de pierre qui s’élancent, dans les airs avec une hardiesse qui donne le vertige, et ce demi-jour mystérieux et triste qui règne dans cette nef immense, et ces notes égarées, ces soupirs qui s’échappent de l’orgue et vont se perdant sous les voûtes, ces rares fidèles errant sous les arceaux, et çà et là, cachées dans l’ombre d’un pilier de pierre, de pauvres femmes en deuil, veuves de quelques officiers carlistes fusillés, qui vous demandent l’aumône en rougissant. Je pouvais me donner le plaisir de chicaner M. de Custine, qui croit avoir découvert dans cette cathédrale le tombeau de Christophe Colomb, dont les os ont été oubliés à Cuba ; c’est sur la tombe de son fis qu’on lit à Séville cette devise si belle et si simple :

A castilla y a Leon
Nuevo mondo diò Colon[1].

Presque tous ces hommes qui sont apparus pour accomplir dans ce monde les métamorphoses que la Providence avait préparées ne sont-ils pas morts dans l’exil ? Mais je m’arrête, et sans plus philosopher, sans même vous décrire les mille jeunes filles, légèrement vêtues, qu’on peut voir travailler à la manufacture des tabacs, je vous mène droit au Rapido, le bateau à vapeur du Guadalquivir.

Guadalquivir ! comme ce nom est harmonieux ! On a beau nier l’euphonie, ne pas se rendre compte de la musique des mots, du charme de certaines consonnances : il y a des noms qui exhalent une poésie

  1. A la Castille et au royaume de Léon, — Colomb donna un monde nouveau.