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prendre. Cadix est une ville très jolie, très blanche, où l’on vit à merveille ; mais Cadix n’est point une ville curieuse, elle offre peu de prise à la description, et je ne vois pas en vérité ce que vous gagneriez à me faire raconter que j’y prenais un bain de mer tous les matins, et que tous les soirs j’allais à l’Alameda, exposer mon cœur aux plus meurtrières œillades. Cette Alameda de Cadix, sans plus parler des yeux noirs, des mantilles et des petits pieds de satin qu’on y voit tous les soirs, est, il faut pourtant le dire, une des promenades les plus merveilleuses qui existent, et, hors la Chiaja de Naples qu’elle rappelle, je ne sache rien en Europe qui puisse lui être opposé. C’est une large et belle esplanade, qui domine, comme un bastion, une des plus admirables rades qui soient au monde. Au-delà de cette mer bleue comme un lac d’indigo, le soleil dore au loin la côte d’Andalousie depuis San-Lucar jusqu’à Puerto-Santa-Maria, On aperçoit, au premier plan, étinceler ces blanches villes, qui sont à Cadix ce que Sorrente et Castellamare sont à Naples, et, dans le fond, dans un lointain dont les fines teintes vont se confondant de plus en plus avec l’éther, on voit se dessiner sur le ciel les montagnes de Chiclana et les coteaux de Jerez. Après une journée de soleil, de chaleur étouffante, quand la brise du soir se lève, que la mer murmure, que la fraîcheur renaît, que les étoiles s’allument, que les mantilles accourent ; quand tout ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on respire semble se mettre en harmonie avec le bien-être qu’on éprouve, la promenade de Cadix réalise un de ces rêves dorés qu’on voit danser dans la fumée de son cigare. Quand on a tout à la fois vingt ans, une grande tranquillité d’esprit et une imagination suffisante. Cela dit, je crois pouvoir me dispenser de vous conter mes aventures à Cadix, qui n’ont rien d’héroïque, ni mes promenades à Jerèz au milieu des tonneaux, ou à l’arsenal détruit de San-Fernando, au milieu des débris de l’ancienne marine espagnole. Cela vous apprendrait tout au plus que le vin de Pacaret et le vin de Jerèz ont la même origine, qu’ils ne diffèrent que par la façon, et que l’Espagne maritime est déchue de son antique splendeur : toutes choses dont vous vous doutez peut-être ; j’aime bien mieux vous conduire a Gibraltar.

J’ai pour les marins espagnols, dont les ancêtres ont découvert le Nouveau-Monde, un respect convenable, mais je doutai de leur habileté le soir où je quittai Cadix. Notre navire avait levé l’ancre à l’entrée de la nuit, et nous n’étions pas au milieu de la rade que le timonier nous conduisit droit sur un écueil, où la brise fraîchissante, après nous avoir fait talonner avec furie, nous échoua piteusement, à la grande terreur des promeneurs de l’Alameda, rassemblés à cette heure. On s’attendait à nous voir naufrager ; les femmes criaient, les passagers voulaient se jeter à la mer, le capitaine, blasphémait, les matelots cou-