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dans les allées de la Trélade, caressait si complaisamment ses rêves ambitieux, ne les encourageait plus même par une allusion détournée. Agité par de sourds pressentimens, M. Levrault interrogeait d’un regard inquiet tout ce qui se passait autour de lui.

Bien qu’en apparence l’union de Laure et de Gaston fût toujours la même, leur intimité recelait déjà des germes de trouble et de discorde. Le faubourg Saint-Germain, où Laure avait espéré recueillir tant de joies et de triomphes, ne tenait pas toutes ses promesses. Cette société, dont les traditions et les grandes manières l’avaient d’abord éblouie, lui semblait maintenant un peu froide, un peu compassée. Plus d’une fois, à tort ou à raison, elle avait cru s’apercevoir qu’elle n’était pas complètement acceptée ; elle comprenait que ces grandes dames, tout en l’accueillant, n’oubliaient jamais la distance qui la séparait d’elles. Un imperceptible sourire, je ne sais quoi de hautain ou de distrait dans le regard disait clairement que la boutique de son père n’était un mystère pour personne. Chose étrange ! on pardonnait à Gaston d’avoir bien voulu descendre jusqu’à elle ; on ne pardonnait pas à Laure d’avoir voulu monter jusqu’à lui. Au milieu des fêtes les plus brillantes, elle se sentait isolée ; l’atmosphère qu’elle respirait était glacée. Un vague malaise pesait sur son cœur. Rentrée chez elle, seule avec elle-même, elle repassait dans sa mémoire toutes les paroles qu’elle avait entendues, tous les regards, tous les sourires qu’elle avait épiés, et les interprétait avec une cruauté ingénieuse. Gaston, tout entier à ses plaisirs, ne devinait pas les larmes de sa femme, et n’était pas là pour les essuyer. Laure se disait que la cour serait plus indulgente que la vieille aristocratie ; là, comme sur un terrain neutre, la noblesse et la bourgeoisie se coudoyaient, se donnaient la main ; jeune, belle, tout le monde à la cour lui tiendrait compte de son titre, et personne ne songerait à lui reprocher son origine. Bientôt Laure n’eut plus qu’une seule pensée, aller à la cour. Convaincue, comme son père, que Gaston avait l’intention de se rallier à la dynastie de 1830, elle se consolait des dédains qu’elle avait dévorés, en songeant à l’éclatante réparation qui l’attendait ; mais les semaines s’écoulaient, et toutes les fois que Laure parlait à Gaston d’aller aux Tuileries, Gaston, qui ne voyait dans ce désir qu’un pur enfantillage, un caprice sans importance, répondait en riant ou ne répondait pas. Plus clairvoyante que son père, elle ne s’était pas long-temps abusée sur l’attitude prise par la marquise, sur l’autorité souveraine qu’elle s’était attribuée et dont elle jouissait comme d’un droit légitime. Sa belle-mère se jouait de la crédulité de M. Levrault ; Gaston serait-il son complice ? Ce soupçon, une fois entré dans son esprit, grandit de jour en jour. Trop fière pour réclamer ce qu’elle regardait comme l’accomplissement d’un marché, Laure s’éloigna de plus en plus de son mari et se mit à douter de sa loyauté. Elle n’insista pas davantage, mais elle ne put se défendre