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comme sous l’influence des circonstances les plus variées. Déjà, dans Comnène, il esquisse d’une main sûre les qualités qui font le grand chef et lui donnent la puissance de se faire craindre et aimer. Le comte Isaac est prévoyant ; il sait rêver et agir, il profite de tout et rétribue chacun suivant ses œuvres Quoiqu’il porte en lui le deuil d’une femme adorée et perdue, quoique, comme un amoureux berger, il ait écrit sur les rochers du rivage : Hélas ! Irène, même au milieu de ses regrets, il ne se laisse jamais surprendre à l’improviste. Dans sa grande figure apparaît surtout l’homme sincère, qui a une conviction et une direction bien affermie, parce que tout ce qu’il a vu et senti oblige son être à aimer et à affirmer quelque chose. Bien plus, le Comnène du poète nous montre un tel homme au sein d’un chaos comme la Constantinople du Bas-Empire, quand, pour arriver à ses nobles fins, il a à tirer parti et à se garer des élémens d’un pareil monde.


« Vous auriez dû être auprès de moi depuis une heure ! (lui dit Théodora la fille de l’empereur, qui a conçu pour lui une violente passion payée d’un dédain mal déguisé). Où avez-vous été ?

« COMNENE. — Je faisais ma sieste.

« THÉODORA. — vous dormiez ?

« COMNENE. — Pourquoi pas ?

« THÉODORA. — Ce n’est pas pour votre race le moment de dormir. Il y a eu dans la rue du tumulte à réveiller les morts.

« COMNENE. – Il est vrai que des cris ont été poussés dans le Forum. C’est quelque tour de la façon de nos concitoyens. Quand il pleut et que le blé a coulé, vite nous avons un essaim de curieux faquins qui vont nous en découvrir la raison, et qui, l’ayant découverte, la crient par les rues. Voilà l’histoire de tout ce tapage.

« THEODORA. – Quelle qu’en soit l’histoire, il aurait pu vous tenir éveillé, car votre nom en était le refrain.

« COMNENE. — Je le crois sans peine ; c’est moi qui suis aujourd’hui la cause ; demain, ce sera vous, peut-être, si ce n’est, par hasard, votre père. »


À chaque instant reparaît chez Comnène ce même mépris pour la manie d’expliquer, d’interpréter, de découvrir les causes de toute chose. Ecoutons-le s’entretenir avec son frère. – « Le prophète Zend expliquait ainsi le secret originel. Il disait : Quand le principe du bien, la lumière, créa l’homme, le mal le suivit comme son ombre. — Et c’est là la pure et vraie philosophie, l’art de figurer ce que nous ne comprenons pas et de dire qu’une chose est ceci ou cela, comme une autre chose est ceci ou cela, quoique du pourquoi et du comment l’une et l’autre sont ainsi nous ne sachions rien. »

À ces traits, on reconnaît aisément les premières manifestations du génie observateur de M. Taylor, les symptômes de ce même instinct qui soulevait Bacon et Luthier contre la scolastique, contre ces viri opiniosissimi dont le moine saxon parle dans ses Astérisques. Seulement la doctrine du jeune écrivain est encore juvénile pour ainsi dire. Son sentiment ne se rend pas largement compte de lui-même ; il se traduit par des dépits ; il trouve plaisir à s’afficher et à batailler. C’est là sans doute ce ton d’esprit qui a choqué M. Taylor lui-même dans son premier essai, et qu’il a cherché à tempérer. Chez Isaac Comnène, d’ailleurs, le