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selon leur fortune. L’impôt combine ainsi la rigueur du mode avec l’arbitraire du résultat.

Avant de soumettre à la discussion le principe même d’une taxe sur le revenu, il convient d’examiner si l’on a pu, avec quelques chances de succès, la restreindre au revenu mobilier, ou si l’on agit au contraire plus rationnellement en l’étendant aux richesses de toute nature. M. Passy, dans son exposé, dirige une critique radicale contre le projet de M. Goudchaux.

« Les sociétés n’ont pas table rase en matière d’impôt. À cet égard, le passé exerce son empire, les faits existans en ont reçu l’empreinte, et partout la répartition des élémens dont se composent les fortunes privées s’est opérée sous les formes et dans les proportions sur lesquelles ont fortement agi les systèmes de taxation établis parmi nous. Par exemple, l’impôt s’est adressé spécialement à la terre ; la propriété mobilière, au contraire, a été ménagée à ce point que certaines de ses parties semblent jouir, d’une immunité complète. Qu’en est-il arrivé ? C’est qu’il a été tenu compte des exigences de l’impôt dans le placement des capitaux, et que l’équilibre de la valeur respective des diverses sortes de propriétés s’est rétabli, tel que le comportait la différence des garanties de sûreté, d’accroissement de prix et d’attrait que présentait chacune d’elles.

« Ce n’est pas, comme on l’a supposé parfois, parce que l’impôt ne les a que faiblement atteints que les capitaux mobiliers se trouvent être ceux qui d’ordinaire rapportent le plus ; c’est parce qu’à leur emploi se rattachent des chances de perte, de risque, des hasards dont sont exempts les placemens immobiliers, et qu’il est juste qu’ils en obtiennent la compensation par une plus grande élévation de leur produit annuel. Quand un genre de propriété est ménagé par l’impôt, il est momentanément recherché avec plus d’empressement que les autres ; on le paie plus cher, mais bientôt l’affluence des capitaux employés à l’acquérir a ramené au niveau commun les avantages qu’il assure. Ainsi se passent nécessairement les choses.

« Ainsi, tout impôt qui vient à tomber sur des sortes de propriétés qui, jusqu’alors, n’en connaissaient pas le poids, change, au détriment général, les relations déjà établies entre les existences privées. On croit ne toucher qu’aux choses, ne faire que réparer une omission de la loi, on atteint rudement et exclusivement les personnes dont la fortune se compose en tout ou en partie, des biens auxquels sont demandées des rétributions nouvelles. Avec la portion des revenus qu’on leur ôte disparaît pour elles la partie du capital qui la produisait et il en ressort un manque de justice distributive qui se traduit en commotions économiques et en souffrances réelles.

« C’est là surtout ce qui interdit de prélever uniquement sur les revenus mobiliers les ressources dont l’état a besoin aujourd’hui. On n’obtiendrait ces ressources dans toute l’étendue nécessaire qu’au prix de subversions regrettables, et en condamnant une partie de la population à supporter des charges dont le poids nouveau serait accablant pur elle »

La théorie de M. le ministre des finances est présentée sous une forme beaucoup trop absolue ; les faits n’ont jamais, ils n’ont nulle part ces