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Si nous insistons sur cette remarque, c’est que les époques agitées, où flottent dans le doute et dans le vide les notions du bien et du mal, sont justement celles où l’on doit le plus obstinément maintenir les principes invariables et sacrés. Où en serions-nous, s’il fallait regarder une pareille œuvre comme inspirée par un spiritualisme sincère à une imagination purifiée, par cela seul que deux amans, brûlant l’un pour l’autre d’une flamme criminelle, résistent à l’entraînement de leur cœur, et ne déshonorent pas tout-à-fait l’homme généreux à qui ils doivent tout ? M. Dumas, nous en sommes sûr, ne s’est pas ajouté lui-même de ce qui manquait à son drame pour réaliser cette perfection morale que signalaient si complaisamment ses amis et sa préface : Est-ce dépravation d’esprit ou de cœur ? Non ; c’est quelque chose de moins coupable et de plus triste : c’est une sorte de naïveté bizarre, un contentement de soi si intrépide, que, ne vivant, ne conversant jamais qu’avec lui-même, il prend volontiers pour des lois universelles et absolues ce qui n’est, hélas ! Que l’amélioration très relative de ses anciennes allures dramatiques. C’est une illusion du même genre qui lui fait probablement regarder comme digne de Schiller et de Goethe, du chaste ou poétique langage de Thècla et de Mignon, le mystique pathos qu’ont sans cesse sur les lèvres le comte Hermann, Karl et Marie. Un style pareil suffirait à gâter un chef-d’œuvre ; ce ne sont que « chastes créatures de Dieu s’élevant vers le trône de l’Eternel, — anges gardiens prêts à recevoir deux ames pareilles à deux blanches colombes, et à les porter ensemble sous les regards du Tout-Puissant. » Jamais on n’entendit retentir, dans un cliquetis de métaphores vulgaires, plus de foudres, d’éclairs, de vagues tumultueuses ; jamais on ne vit reluire sous un miroitement de phrases prétentieuses plus d’étoiles, de perles, d’azur, de lacs, de chérubins, de larmes et de diamans. J’entendais dire que c’était là de la couleur ; c’est tout au plus de l’enluminure.

Ce style, nous le retrouvons encore, mais revu et augmenté, dans cette malencontreuse préface dont il faut bien dire quelques mots, puisque l’auteur en a fait le programme de ses intentions dramatiques, et que, sans ces quatre pages, il eût été possible aux profanes d’ignorer toujours le sens véritable du Comte Hermann. M. Dumas, qui, dans son drame, invoque avec une obstination si verbeuse les anges gardiens de ses personnages, eût bien dû songer un peu au sien, et le prier de lui épargner une étourderie qui a failli engloutir dans une immense risée le succès et l’émotion de la première soirée : nous n’abuserons pas de cette préface, dans laquelle l’auteur s’est montré à son insu plus impitoyable envers lui-même que ne l’eussent été ses plus acharnés ennemis. Nous ne relèverons pas cette suite de divagations incroyables d’où résulte clairement un fait : c’est que Dieu n’a permis la chute successive de Napoléon, de Charles X et Louis-Philippe que pour que M. Dumas arrivât à écrire le Comte Hermann, d’après cette vérité que M. Dumas proclame : « l’art est tout, » et à laquelle il ajoute tout bas, dans le langage de Louis XIV : « l’art, c’est moi. » Non ; de pareilles remarques sont trop faciles, pour qu’il y ait du mérite à les faire ; de semblables ridicules sont trop visibles pour qu’il soit piquant de les signaler. L’épigramme se tait, la malice rend les armes devant cette vanité colossale, et nous n’aurions rien dit de cette préface, s’il ne s’y révélait le symptôme particulier d’une maladie générale, et si l’on n’y trouvait, sous un travers individuel, un enseignement utile.