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quelle immense machine à mettre en mouvement ! En Angleterre ? la moindre cote est de 4 livres sterling et demie, soit d’environ 114 francs, et vaut que l’on ne tienne écriture ; mais, au taux de 1 pour 100 que propose M. Passy, et avec le morcellement des fortunes, l’administration devra établir, vérifier et recouvrer des cotes de 2 et même de 1 franc ; n’est-ce pas appliquer toutes les forces de l’état à des misères ?

Bien que ce système ait une base solide de l’autre côté du détroit, le gouvernement britannique a prodigué, dans le mécanisme de l’income tax, tous les moyens de contrôle. Ainsi, aux commissaires-généraux qui établissent les évaluations, il a superposé des commissions spéciales prises parmi les sommités du commerce et de l’industrie, telles que les directeurs de la Banque, de la compagnie des Indes et les administrations municipales. Avec la ressource de ces jurys administratifs, qui sont des tribunaux d’appel en matière d’évaluation et qui possèdent la connaissance la plus étendue de la matière imposable, il peut approcher de la certitude. De pareilles ressources manquent au gouvernement français. Notre haut commerce ne lui fournirait que très imparfaitement les renseignemens qui lui seraient nécessaires, et quant aux jurys municipaux qu’il institue au premier degré de la procédure, il est à craindre qu’un grand nombre ne reculent devant une tâche qui les mettrait aux prises avec tous les intérêts et avec toutes les passions.

Malgré tant de conditions défavorables, supposons que l’impôt du revenu vienne à s’établir, quelles en seront les conséquences ? La première et la plus grave peut-être dérivera de l’inégalité sans remède avec laquelle les contribuables se verront traités. Je laisse de côté les inégalités individuelles, qui prendront infailliblement des proportions souvent monstrueuses, pour ne m’occuper que de celles qui intéressent des catégories entières d’imposés.

L’individu qui vit sur le revenu d’un capital permanent est dans une position très différente de celui qui n’obtient un revenu égal qu’à la sueur de son front, par les efforts de son industrie, ou grace à un traitement révocable et temporaire. « Pour que celui-ci, dit avec raison M. de Parieu, fût dans une situation aussi avantageuse que celui-là, il faudrait qu’outre le même revenu, il pût épargner annuellement, et par un procédé analogue à celui de l’amortissement un excédant suffisant pour reproduire au bout d’un certain nombre d’années, un capital procurant un revenu permanent. M’Culloch établit, d’après calcul, qu’un revenu viager de 1,000 livres pour une personne âgée de quarante ans et à laquelle il reste vingt-sept ans à vivre, d’après les tables de probabilité, ne représente pas une valeur plus considérable qu’un revenu perpétuel de 661 livres, et devrait par conséquent, si le taux de l’impôt était à 10 pour 100, ne supporter qu’une taxe de 66 livres. »