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aux objections qu’élevait la minorité de la commission, dans des termes que nous lui emprunterons encore. « Quelle inquisition redoutable que celle dont le résultat sera tout à la fois d’obliger le riche à révéler une fortune qu’il se plaît peut-être à entourer de mystère, et de condamner le citoyen pécuniairement malheureux à cette dure alternative de répandre sur sa situation une lumière fatale à son crédit, ou d’acheter par un impôt mensonger la conservation du prestige d’aisance dont il est environné ! »

Oui, cela est vrai, le système des déclarations invite en même temps aux deux fraudes contraires il donne la tentation aux riches de dissimuler une partie de leur revenu, et aux pauvres celle de se créer, en vue de l’inévitable publicité, une richesse fictive. Le trésor public est ainsi privé de ce qui lui appartient, et reçoit par contre ce qui ne lui appartient pas. Le résultat, dans les deux sens, renverse le but que se proposait la taxe. La proportionnalité de l’impôt devient une véritable chimère, et sa perception une guerre du fisc contre la société.

Le projet de M. Passy présente une lacune. M. le ministre des finances part de la déclaration du contribuable ; il charge un comité communal de rectifier, et au besoin de suppléer la déclaration du contribuable ; mais, il néglige de tracer aux membres de ce comité la procédure à l’aide de laquelle ils pourront et devront établir ces évaluations. On dirait qu’un pouvoir discrétionnaire leur est abandonné, comme si, en matière d’impôt, le législateur pouvait se montrer trop prévoyant, trop précis, trop minutieux même. Il n’y a que deux moyens d’évaluer les revenus de chaque contribuable, la notoriété et l’investigation sur pièces. Lequel des deux choisira le comité communal ? S’il n’interroge que la notoriété publique, il court le risque de prendre l’ombre pour la réalité, de s’en rapporter à la renommée qui grossit les fortunes, de devenir un centre ténébreux auquel aboutiront les dénonciations signées ou anonymes, de tomber enfin quelquefois dans l’odieux et toujours dans l’arbitraire. S’il veut au contraire se rendre un compte exact de la matière imposable, et proportionner sincèrement la taxe aux facultés de chacun, il faudra pénétrer dans le domicile, compulser les livres du manufacturier et du commerçant, vérifier les titres de rentes ou de créances, comparer l’actif avec le passif, se livrer en un mot à l’inquisition des fortunes. Ce dernier mode serait le seul efficace, mais il serait odieux, et on ne peut pas l’établir par un règlement ministériel, même avec l’attache du conseil d’état. La loi doit parler, à haute et intelligible voix, quand elle commande de tels sacrifices. Au reste, le silence du projet s’explique par les résistances que le ministre prévoit. L’exercice sur les boissons n’est pas populaire, bien qu’il n’atteigne qu’une seule classe de commerçans. Que serait-ce donc de l’exercice venant troubler jusque dans le secret des affaires et dans