Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/964

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se diriger ver l’île. Jetant sa bèche dans le sillon, le paysan court à Saint-Hélier annoncer au capitaine du port qu’un bâtiment en feu se débat à quelques lieues du rivage. C’était un steamer qui venait établir entre l’archipel et l’Angleterre des communications rapides et régulières que ni le calme ni la tempête ne devaient désormais interrompre. Les chemins de fer s’ajoutant à ce nouveau moyen de transport il en est résulté que Saint-Hélier, regardé jadis comme le chef-lieu d’une colonie lointaine, est aujourd’hui à quatorze heures de la Cité de Londres. Un grand nombre de familles anglaises qui voulaient, sans s’exiler, jouir d’une vie aisée et peu coûteuse, tout près des grandes villes du royaume-uni, vint chercher dans les îles la réalisation de ses désirs La douceur et la régularité d’un climat moins froid que l’Angleterre et même que le nord et l’ouest de la France, — car il gèle et neige rarement à Jersey, — les y retinrent et elles s’y fixèrent. Les Jersyais, intelligens en affaires, construisirent bientôt des maisons coquettes et simples appropriées au goût de leurs nouveaux hôtes ; il s’éleva par milliers de ces cottages gracieux que le goût anglais sut perfectionner, et les îles, il faut bien le dire, prirent une physionomie qu’elles n’avaient point auparavant. L’île de Guernesey, plus petite et peu boisée, participa dans une moindre proportion à ce mouvement inattendu ; celle de Jersey, plus favorisée de la nature, assez étendue[1] pour renfermer, au moins en miniature, tout ce qu’on peut rencontrer sur un continent, prairies, bois, coteaux, bruyères, cours d’eau douce, devint le rendez-vous favori d’une émigration volontaire, d’une société aisée et fashionable. De là ces campagnes coupées en tous sens de routes pareilles aux allées d’un parc, où les jardins fleuris des cottages se mêlent aux vergers des fermes rustiques ; de là cette cité considérable dont les faubourgs s’allongent et s’embellissent chaque année, ces rues commerçantes, pleines de magasins dignes d’une grande ville, ce port animé et toujours rempli de navires[2]. Saint-Hélier est, à vrai dire, la capitale de tout l’archipel.

Sur toutes les mers, on rencontre les bâtimens jersyais portant à la poupe les armes de leur île, trois léopards passans, de gueule sur fond d’azur. Toutefois ces bâtimens fréquentent de préférence les côtes du Canada, les ports de Gaspé, de la Poèle, de Shippagang, — peuplés de Normands aussi, où se conserve encore la vieille langue des compagnons du roi Guillaume, — et les pêcheries de Terre-Neuve. Ce sont eux qui approvisionnent en partie de morue verte et salée les ports d’Italie, d’Espagne, de Portugal, de Grèce même, ils en rapportent des

  1. L’île de Jersey a de quinze à seize lieues de tour.
  2. En 1849, l’île de Jersey avait 330 navires formant un ensemble de 32,000 tonneaux. Ces bâtimens appartiennent presque tous au port de Saint-Hélier. Guernesey n’a que 100 et quelques navires, portant en tout 14,000 tonneaux.