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la même en faisant incessamment des progrès vers le mieux ? Probablement par bien des talens que l’Angleterre n’a pas et que nous avons, et par l’intelligence politique qu’elle a et que nous ferions bien d’avoir.

Nous avons bien, ce qui est fort différent, l’intelligence de la politique. S’agit-il de parler ou d’écrire sur les matières du gouvernement, d’exposer les rapports du souverain et des citoyens, de comprendre et de vanter les biens de la liberté, de l’ordre même, nous sommes sans rivaux. Les pays de tribune n’ont pas d’orateurs qui ne le cèdent aux nôtres. La presse d’aucun peuple libre n’égale la véhémence, la vivacité, l’éclat de nos journaux. Mais tout cela n’est pas l’intelligence politique. Il y a entre ces deux choses la différence de la spéculation à la conduite : l’intelligence politique consiste à pratiquer ce dont nous dissertons avec éclat ; elle est plutôt une qualité du caractère que de l’esprit.

On la reconnaît tout d’abord en Angleterre à deux traits auxquels nous ne ressemblons guère : c’est l’esprit d’obéissance et l’esprit de sacrifice. Voici qui paraît singulier d’un peuple libre, le plus libre, au dire de Montesquieu, dont le mot est encore vrai, qui ait jamais existé sur la terre. Obéissance, sacrifice, de telles appellations ne jurent-elles pas avec le mot de liberté ? Oui, au premier aspect ; mais, pour quiconque y a réfléchi, il n’y a pas de mots plus corrélatifs, parce qu’il n’y a pas de choses qui puissent moins se passer l’une de l’autre. L’intelligence politique n’est que la vertu de faire vivre ensemble dans la pratique des choses inséparables dans la théorie ; car, rien n’étant plus près de la liberté que l’esprit de sédition, n’implique-t-il pas qu’obéir est le seul contre-poids d’être libre ? Et de même, rien ne touchant plus à l’égoïsme que la liberté, le seul remède préventif contre l’égoïsme n’est-il pas l’esprit de sacrifice ? Ainsi l’entend le peuple anglais : La liberté anglaise n’est qu’une règle acceptée librement. L’Anglais est retenu par plusieurs freins ; mais c’est sa propre main qui les a attachés. Où il n’y pas d’obéissance, il n’y a pas de liberté ; où l’esprit de sacrifice n’existe pas, l’égoïsme perdra la liberté. Ce sont de vieux lieux communs chez les nations qui n’ont que l’intelligence de la politique ; ce sont des vérités sublimes et d’une inépuisable nouveauté chez celles qui ont l’intelligence politique.

L’Anglais, a dit Swift, est un animal politique. Je ne sache pas de formule qui exprime avec plus d’exactitude et plus de sans-façon combien l’intelligence politique est le fonds et comme l’instinct d’un Anglais. Cet animal-là raffine peu sur son droit et n’en disserte guère ; il le sent. Il sait ce qu’il a à recevoir et à donner. Il le sait, ou je n’entends pas le mot de Swift, — clairement et immédiatement, comme l’animal proprement dit sait ce qu’il a à faire, et il n’en dit guère plus. Seulement, au lieu que celui-ci concourt, à son insu, à un ordre général