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Un autre jour, dans un dîner de corporation où j’avais eu l’honneur d’être invité, le moment des toasts venu, le président du banquet porta la santé de la reine. Une explosion de hourras ébranla la salle. Surpris de voir des gens si calmes, après le dîner le plus décent, avant les vins du dessert, éclater tout à coup en cris presque sauvages, je me penchai vers le président et je lui demandai si je devais mesurer à la force de ces cris le dévouement des convives pour la reine. « C’est à la santé de la royauté que nous buvons, me dit-il ; nos hourras sont pour le principe. Nous aurions, au lieu d’une reine, un roi ; au lieu de la jeune femme, capable et charmante, qui tient le sceptre d’une main si discrète et, si ferme, un vieillard en enfance : notre toast n’eût pas été moins vif et nos poitrines n’auraient rien gardée du vieux cri anglais que vous venez d’entendre. Nous sommes heureux que la personne assise en ce moment sur le trône, remplisse à merveille son office de roi constitutionnel, qu’elle en ait tout le tact et toute la réserve et qu’elle porte légèrement sur une tête gracieuse la couronne des trois royaumes ; nous sommes fiers de pouvoir donner en exemple à nos familles ses graces de femme et ses vertus d’épouse et de mère ; mais nous lui préférons la royauté. »

Je crois qu’en fait de liberté et de fierté, pourvu qu’il s’agisse de la liberté qui respecte celle des autres et de la fierté qui ne les insulte pas, nos plus ombrageux démocrates, ceux qui se signent au nom de roi, n’en remontreraient pas au monarchiste anglais. C’est pourtant cet Anglais si libre et si fier qui consent à se courber sous une main qui ne tient point l’épée ! Mais, s’il se courbe, c’est qu’il le veut bien ; la beauté de l’obéissance est dans le consentement libre. Cet homme a bien le droit d’être fier, car il ne fait que ce qu’il a voulu. Oui, il me plaît d’instituer une femme chef suprême de la religion, de l’armée, de la justice ; il me plaît de la loger dans de magnifiques palais, de la faire manger dans l’or, de l’habiller de velours et d’hermine, de charger sa tête de diamans ; il me plaît qu’elle appelle ce grand peuple mon peuple ; il me plaît de donner l’extrême puissance à l’extrême faiblesse. Voilà ce que dit l’Anglais. Il sait bien que c’est sa volonté qu’il a instituée souveraine, et ce qu’il respecte dans son ouvrage, cet indigne courtisan, c’est lui-même. La royauté n’est à ses yeux que la garantie de la liberté, et il l’honore en proportion de ce qu’il estime le bien qu’elle garantit. La royauté est au-dessus de toutes les têtes, oui, comme la voûte est au-dessus de toutes les pierres, pour soutenir le bâtiment : Que dirait-on de pierres qui s’offenseraient d’être dominées par la clé de voûte ? C’est pourtant l’image de certains démocrates ; ils veulent la voûte, mais sans la clé. L’Anglais est plus jaloux de la solidité de l’édifice que du privilège de la pierre qui l’empêche de choir. Il voit dans la royauté, le service qu’elle rend et n’est pas libre de ne