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emportées l’ont menée à la servitude et ses dégoûts à la sédition ; quelle part elle a dans les torts éternels et réciproques qui empêchent l’accord entre le principe d’autorité et le principe de liberté. Une telle histoire ne serait-elle pas un service patriotique rendu à cette nation ? Ne la déshabituerait-elle pas de se tenir sans cesse tournée vers ceux qui la gouvernent, rapportant tout ce qui lui arrive à l’humeur, l’âge, aux talens, bien ou mal appréciés, de ses chefs, et, comme le parterre qui ne peut rien changer à la pièce, assistant, pour battre des mains ou siffler, au drame dans lequel se jouent ses destinées ? Ne lui donnerait-elle pas l’envie de se regarder enfin, de s’examiner, de se connaître, de se parler vrai ; comme les honnêtes gens ? Ne pourrait-elle pas lui inspirer un esprit politique personnel, original, qui l’affranchirait de l’éloquence de ses orateurs, des paradoxes de ses écrivains, de la gloire de ses capitaines, et qui la formerait à ce grand art du gouvernement d’un peuple par lui-même, qu’on ne trouve pas sous les pavés des rues, et qui est moins une théorie qu’une vertu ?

Outre cette curiosité patriotique des Anglais pour le passé de l’Angleterre et cette délicatesse sur les époques scabreuses de son histoire, aucun peuple ne connaît mieux l’état présent de son pays. On a souvent reproché à nos collèges de nous former des politiques qui ne savent même pas la géographie de la France. Nous avons eu des hommes d’état qui n’y étaient guère plus versés, et qui, pareils aux généraux la veille d’une bataille, étudiaient le soir le terrain où ils avaient à gouverner le lendemain. La jeunesse d’Angleterre sait, dans le plus grand détail, la géographie des trois royaumes, l’histoire locale et la statistique de chaque comté, ses productions, ses rivières, ses voies de terre et de fer, ses établissemens utiles, ses monumens ; et, quant aux hommes d’état britanniques, la brutalité des événemens n’en a point encore imposé à l’Angleterre qui l’aient gouvernée avant de savoir sa géographie. Serait-il donc vrai qu’on n’enseigne pas la géographie de la France dans notre Université ? Nullement. Elle y est bien enseignée ; mais on l’y apprend mal. C’est la faute des pères qui, n’en ayant pas le goût, ne peuvent le donner à leurs enfans ; c’est la faute de la première éducation qui n’a pas su, dans l’enfant, préparer le futur membre d’une grande nation, et intéresser aux notions qu’elle confie à sa tendre mémoire ses premiers instincts de patriotisme. En Angleterre, tout parle à l’enfant de son pays ; les premiers mots qu’il bégaie sont des louanges de l’Angleterre ; ses prières lui disent qu’elle est bénie de Dieu entre toutes les nations ; les livres où il apprend à lire sont pleins de son nom. Adolescent, on saisit son imagination par le spectacle de ses libertés et de sa grandeur commerciale ; on lui apprend à suivre sur toutes les mers les traces de ses vaisseaux, à reconnaître sur tous les continens les tributaires de son industrie ; on lui fait étudier