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devoir d’éducation bien rempli. Qu’est-ce qui s’aviserait de manquer de respect à la jeune fille qui passe ? Elle va, dans quelque rue écartée, porter discrètement à une veuve accablée d’enfans l’aumône de sa mère avec l’argent de ses plaisirs. J’en sais une, toute formée de bonté et de piété, qui avait pris dans l’ardeur de ces visites aux pauvres le germe d’un mal sans remède. Elle voyait venir son dernier jour avec sérénité ; sa foi lui disait qu’elle serait plus secourable aux pauvres dans le ciel, et qu’elle allait échanger des forces insuffisantes et une charité bornée contre des forces inépuisables et une charité sans fin.

Les pauvres sont plus nombreux dans les centres d’industrie ; aussi nulle part la charité n’est-elle plus inventive. Tout autour d’une fabrique, les gens aisés s’instituent d’eux-mêmes gardiens de tous les pauvres que peut y engendrer l’irrégularité du travail industriel. On secourt ceux que le chômage des établissemens prive momentanément de travail ; on apprend aux jeunes à se pourvoir par l’économie contre ces vicissitudes ; on donne pour soulager la pauvreté, et on donne pour la prévenir. Les soins préventifs sont peut-être l’application la plus touchante de la charité individuelle. Le nombre des pauvres est bien grand ; mais plus grand encore est le nombre de ceux qui peuvent le devenir. La charité la plus efficace est celle qui parvient à retenir l’ouvrier sur le bord de cet abîme, qui, par des soins donnés au corps et à l’ame, l’aide à passer l’âge le plus dangereux, et, en lui inspirant l’habitude de se suffire, lui prépare quelque jour la douceur de secourir les autres à son tour.

Ici c’est une femme jeune, élégante, qui reçoit, tous les samedis, dans une des salles de sa belle demeure, les jeunes ouvrières de la fabrique voisine. Elles viennent dans cette maison un moment la leur, entendre une lecture religieuse que la maîtresse accompagne d’interprétations familières. Tout plaisir, toute distraction cesse dès que l’heure du devoir envers le pauvre a sonné. Des prix sont distribués, à certaines époques de l’année, aux plus attentives, sans que celles qui l’ont été moins s’en retournent les mains vides. C’est encore de la charité aimable, là où les mérites sont inégaux et où les besoins sont les mêmes, de savoir récompenser les mérites sans paraître frustrer les besoins. Les prix sont des objets d’habillement. Plusieurs de ces jeunes filles doivent à l’intelligence et à l’attention qu’elles ont montrées dans ces exercices une toilette décente qui contribue à les relever à leurs propres yeux.

Ailleurs on reçoit les petites économies qu’elles font sur le prix de leurs journées ; on les fait valoir, on le leur dit du moins, et aux approches de la mauvaise saison on leur achète des habillemens qu’elles croient avoir payés. On leur cache ce que la charité de leurs banquiers ajoute au capital et aux intérêts ; on risque qu’elles soient moins reconnaissantes