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moins scrupuleux que les pieux Hindous, ils mangent très bien le mouton ou le poulet dont l’homme noir vient d’avancer la transmigration par leurs ordres et sous leurs yeux[1].

Les lamaseries ressemblent à de véritables villes ; les blanches maisonnettes des lamas sont alignées de manière à former des rues que dominent les temples bouddhiques avec leurs formes grandioses et leurs toits dorés. Ces temples sont richement ornés ; des éléphans, des lions, des tigres, des ours sculptés dans le marbre ou dans la pierre, semblent en garder les portes. À l’intérieur, on trouve d’autres sculptures et des tableaux ; partout on voit ou la statue de Bouddha ou des peintures représentant quelque acte de sa vie ; partout aussi les yeux rencontrent des sentences pieuses. Ces sentences sont gravées sur les montagnes les plus escarpées comme sur les murs des temples. Exécuter un tel travail, c’est prier. Les lamas sont d’assez pauvres peintres, mais leur talent comme sculpteurs et mouleurs paraît vraiment remarquable. Bien que le silence ne soit pas prescrit dans les rues des lamaseries, il y est généralement observé. Aux heures des offices, les lamas sont avertis de se rendre au temple par le bruit des cloches et des conques marines. Le costume religieux, robe rouge, petite dalmatique sans manches, écharpe rouge et mitre jaune, est de rigueur à l’intérieur des lamaseries.

En général, les lamas sont sincères dans l’expression de leurs sentimens religieux : MM. Huc et Gabet n’ont connu que Sandara-le-barbu qui fût complètement incrédule ; mais la sincérité de ces croyans ne les empêche pas de recourir à de singuliers moyens pour s’épargner les fatigues de la prière. Ils ont un certain moulinet appelé tchu-kar ou prière tournante, sur les ailes duquel sont écrites des sentences pieuses : on imprime à ce moulinet un mouvement des plus rapides, et chaque tour qu’il fait représente une prière dite. Les tchu-kar sont de diverses dimensions ; les uns se tiennent à la main et ne prient que quand leurs propriétaires les mettent en mouvement ; d’autres sont placés, comme de véritables moulins, le long des rivières, et le courant les fait tourner sans cesse, de telle sorte que leurs fondateurs ont l’avantage de prier nuit et jour. On voit aussi dans les lamaseries de grands mannequins entièrement composés d’innombrables feuilles de papier collées les unes sur les autres et couvertes de prières. Ces mannequins peuvent être facilement mis en mouvement ; ils prient pour tout lama qui songe à les pousser en passant. Un autre moyen également simple et ingénieux, c’est de mettre dans une hotte tous les livres de piété que l’on peut trouver, et de faire avec cette charge sur le dos une

  1. Les lamas ayant la tête rasée, on les appelle hommes blancs, et par opposition on nomme hommes noirs ceux qui n’ont pas embrassé la vie religieuse.