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Les missionnaires n’eurent pas à se prémunir dans le Thibet comme en Mongolie contre des changemens subits de température : ils furent constamment gelés. Cependant la crainte des kolos leur fit souvent oublier la rigueur du climat. En effet, cette caravane, forte de deux mille hommes, mais embarrassée dans sa marche par quinze mille bœufs à longs poils, douze cents chevaux et autant de chameaux, offrait une proie des plus tentantes aux brigands des monts Bayenkharat. Ces brigands, que l’on désigne sous le nom générique de kolos, sont des Si-fan, ou Thibétains orientaux. Les montagnes bordées de précipices où se trouvent les sources du fleuve Jaune leur servent de repaire. Les kolos forment diverses tribus ; l’une d’elles, et c’est peut-être la moins importante, porte un nom que nos géographes ont rendu célèbre, presque populaire, celui de Kalmouk. Comme la plupart des Thibétains nomades, les kolos sont revêtus en toute saison d’une large robe en peau de mouton grossièrement serrée aux reins par une épaisse corde en poil de chameau ; de grosses bottes de cuir complètent ce costume, que relèvent un large sabre passé dans la ceinture, de superbes moustaches et des cheveux qui pendent en désordre sur le dos et la figure.

Les premières journées de route furent assez calmes ; on n’avait pas encore atteint les montagnes du Thibet, et le froid était supportable. Au passage des douze embranchemens du Pouhain-gol, rivière située à l’ouest de la mer Bleue, les difficultés du voyage commencèrent. L’eau, était gelée, mais pas assez fortement pour que la glace pût servir de pont. Il fallut faire entrer les animaux dans la rivière. On perdit deux bœufs et un homme. C’était avoir du bonheur. Le Bourkan-bota, montagne fameuse par les vapeurs pestilentielles dont elle est continuellement enveloppée, devait offrir des obstacles d’une autre nature. Avant d’en essayer l’ascension, on avala force gousses d’ail, mesure hygiénique conseillée par la tradition. Le Bourkan-bota dégage véritablement un gaz des plus délétères. Après quelques efforts, les chevaux se refusent à porter leurs cavaliers ; ceux-ci sont obligés de faire appel à tout leur courage et de se dire qu’il faut avancer ou mourir pour ne pas céder eux-mêmes à la fatigue et au malaise qui les accablent ; les visages blêmissent, les cœurs tournent, les jambes tremblent ; on se couche, puis on se relève pour se recoucher et se relever encore ; enfin on arrive. Mais qu’est-ce que le Bourkan-bota comparé au Chuga ? Le jour où l’on doit traverser cette montagne, il faut se mettre en route à une heure du matin, autrement on pourrait être arrêté par la nuit au milieu des blocs de neige. Les habits les plus épais, les fourrures les plus chaudes ne sauraient mettre à l’abri du froid. Les animaux, enfoncés jusqu’au ventre dans la neige et aveuglés par de continuels tourbillons, n’avancent que par bonds