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plement sous leur robe : la raison de cet usage, c’est que partout, à chaque instant, on s’offre du thé et que jamais on ne doit boire dans l’écuelle du prochain. Ce meuble indispensable est d’un bois plus ou moins précieux ; la forme en est gracieuse ; un peu de vernis est le seul ornement qu’on se permette d’y ajouter. Parmi ces écuelles, il en est qui valent 500 francs, 1,000 francs même ; celles-là sont faites avec les racines de certains arbres rares qui naissent sur les montagnes du Thibet. M. Huc déclare qu’à première vue il est assez difficile de distinguer les plus précieuses des plus simples.

Les Thibétains appartiennent à la race mongole ; mais ils l’emportent sur les autres Tartares par une souplesse de corps et d’esprit qui fait ombrage aux Chinois ; ils sont généreux, francs et braves ; le sentiment religieux, sans aller chez eux, comme chez les Mongols, jusqu’à l’extrême crédulité, est néanmoins très développé et très ferme ; leurs traits rappellent fort nettement le type tartare, mais ils sont relevés par une expression de vivacité et d’enjouement qui les distingue des Mongols et des Mantchoux. Ils portent les cheveux longs et flottans sur les épaules ou tressés en queue à la manière des Chinois ; un chapeau rouge, assez semblable de forme au béret basque, ou une toque bleue avec visière de velours noir et pompon rouge, une large robe agrafée sur le côté et serrée par une ceinture rouge, des bottes en drap, sont les parties essentielles de leur costume. Les femmes ont une robe semblable à celle des hommes, mais elles y ajoutent une tunique courte et bigarrée de diverses couleurs ; leurs cheveux sont toujours divisés en deux tresses qu’elles laissent pendre ; un petit bonnet jaune, taillé comme le bonnet de la liberté, sert de coiffure aux femmes du peuple ; les grandes dames ont une couronne de perles pour tout ornement de tête. Ce costume est gracieux ; néanmoins toutes les Thibétaines sont hideuses à voir, même pour ceux qui aiment les yeux petits et bridés, les pommettes saillantes, le nez court et les bouches largement fendues : c’est que jamais elles ne sortent de leurs maisons sans avoir le visage barbouillé d’une espèce de vernis noir et gluant, assez semblable à du raisiné. La mode n’a point à se reprocher cet usage, qui vient de la dévotion ; le nomekhan ou lama roi qui gouvernait le Thibet il y a deux siècles, trouvant que les mœurs de son peuple étaient très dissolues, imagina qu’il remédierait au désordre en prescrivant aux femmes de ne jamais montrer au public qu’un visage affreusement noirci : l’obéissance fut complète, et aujourd’hui la chose est considérée comme point de dogme ; les femmes perdues de réputation osent seules avoir une figure propre. Il est douteux, du reste, que l’édit du nomekhan ait fait grand bien à la moralité publique. La partie du Thibet directement soumise au pouvoir temporel du Talé-lama n’est pas, en effet, plus morale que les contrées où on ne reconnaît que sa suprématie religieuse, et cependant, dès que